Mani - Biographie

Né à Ctésiphon en Babylonie, Mésopotamie, vers 216 et meurt à Gundishapur, Susiane, vers 273. Mani (en persan: مانی ) est le fondateur du manichéisme.
Parmi les étymologies possibles de son nom figure le sanskrit maṇi : pierre, perle précieuse, joyau, que l'on retrouve dans le mantra homonyme.
Biographie
Il est issu d'un milieu chrétien appartenant au courant gnostique du prophète Alkhasaï. Mani affirme très tôt être en contact avec un ange et être un imitateur de la vie de Jésus. Il se met à prêcher vers 240 mais c'est sa rencontre avec le roi sassanide Shapur Ier en 250 qui décidera du succès de sa doctrine : le monarque conçoit tout l'intérêt d'une religion nationale pour unifier son empire. Le monarque lui donne donc le droit de répandre librement son enseignement dans tout l'Empire Perse. La foi nouvelle progresse rapidement et les communautés se multiplient sous son regard bienveillant. Mani prêche en araméen comme l'avait fait Jésus.
Vient le règne de Bahrâm Ier, en 272, qui favorise un retour au mazdéisme. Persécuté, Mani se réfugie au Khorasan où il fait des adeptes parmi les seigneurs locaux. Inquiété de voir cette influence grandir, Bahrâm Ier le remet en confiance et le rappelle à Ctésiphon. Mais c'est la prison et les mauvais traitements qui l'attendent, puis la mort d'épuisement, âgé d'environ soixante ans. Il aurait été supplicié à Gundishapur (citée sous son nom araméen de Beth Lapat dans le roman d'Amin Maalouf).
La passion de Mani sera perçue comme une transposition de la passion du Christ par ses adeptes.
Peintre visionnaire et philosophe, poète, musicien, médecin et consultant en développement personnel, Mani transmit une vision du monde et de la vie si puissante que son enseignement se répandit, de manière totalement pacifique, de l’Afrique à la Chine, des Balkans à la péninsule arabique.
Mani, son histoire, sa vie
Mani, tel que nous le rapporte l’historien arabe Al-bîruni, serait né au cours du Printemps dans l’an 216, à Ctésiphon (c'est-à-dire prêt de l’actuelle Bagdad). La dynastie des Parthes, qui gouvernait alors une grande partie de la Mésopotamie, allait être renversée par Ardashîr en 224, qui, en fondant la lignée des Sassanides (qui après avoir vaincus la grande Rome dans ses débuts, tombera au VII° siècle sous le coup des arabes), restaura également le Mazdéisme (c'est-à-dire le Zoroastrisme tel qu’il était pratiqué par le clergé des mages) en tant que religion d’état. Les parthes, qui garantissaient une certaine tolérance de cultes, permirent à cette époque, à de nombreuses sectes dissidentes chrétiennes, de fleurir dans la région entre le Tigre et l’Euphrate. Ces sectes, que nombres d’universitaires tenteront de réunir sous le terme de « gnostiques », comptaient parmi leurs noms, les Elkasaïtes, de leur fondateur Elkasaï, que l’on appelait alors « Mughtasilah », c'est-à-dire « ceux qui se lavent », ou « vêtements blancs ». Dans la clandestinité, le flambeau de ces traditions persiste encore aujourd’hui, sous des formes différentes, chez les mandéens d’Iraq ou dans les courants dissidents de l’Islam Chiite. Bâbek, le père de Mani, était membre de cette communauté autocéphale, chrétienne des premiers siècles, car nazoréenne, c'est-à-dire descendante du Nazoréen, de Ieoshoua qui sera appelé par le mouvement grec de Paul, Christ. C’est dans ce contexte de communauté austère, strictement végétarienne et baptiste, que né Mani, d’une mère prétendument descendante de la dynastie des Parthes, Maryam. Très tôt, le jeune Mani sera assidu aux leçons des évangiles, à celle de Thomas notamment, çà n’est qu’à ses 12 ans, qu’il reçoit la visite d’un ange, du nom d’At-Taum (le « jumeau »), lui révélant sa future mission. A 24 ans, il reçoit la révélation de cet ange, celle de l’alpha et de l’oméga de toute chose, tous les mystères de l’Univers lui sont transmis. At-Taum, qui n’est autre que son homologue lumineux, lui annonce qu’il est le Paraclet promis par Ieoshoua, l’esprit de vérité, dont l’apôtre Jean fait référence dans son évangile.
Les elkasaïtes, n’accueillant pas cette vérité avec la même ferveur, l’invite à une repentance profonde, mais Mani décide de partir prêcher le message d’une évangile, émanée du Christ, et de son Paraclet. Son père, Bâbek, décidera de le suivre, notamment en Inde, Terre d’évangélisation destinée par Jésus à l’apôtre Thomas (qui signifie également « Jumeau » en araméen, At-Taum, Thomas étant la transcription greco-latine du terme). Le parallèle est ici évident entre les raisons de cette destination et la valeur évangélique du message manichéen. On connaît peu de choses sur l’itinéraire chronologique de Mani et de ses compagnons à travers l’Orient. On sait simplement, d’après les témoignages même de Mani, dans ses Kephalaia que celui-ci reviendra en Perse sassanide, en raison d’une convocation du descendant du Roi des Rois Ardashîr, Shâpur I°, après avoir parcouru un large horizon de la Mésopotamie : « Dans les dernières années D’Ardashir, je suis partis prêcher. J’ai traversé le pays des Indiens. Je leur ai enseigné l’Espoir de la vie. J’ai choisit dans ces lieux des représentants élus. A la mort d’Ardashir, Shapur son fils, devint Roi. Des terres de Perses, je suis allé dans le pays de Babylone, de Mesene et de Susiane. Je suis apparu auprès du Roi Shapur. Il m’a reçu avec de grands honneurs. Il m’a donné la permission de séjourner […] prêcher le Verbe de Vie. J’ai également passé de nombreuses années […] dans son cortège, de nombreuses années en Perse, et dans la Terre des Parthes, au dessus d’Abiabene, et aux portes des provinces du Royaume des romains. » (Keph, 16). Mani aurait donc prêché à travers le Moyen Orient et l’Asie Mineure, jusqu’en Inde, mais également aux frontières de l’Empire romain d’occident. Dans chacun de ses centres d’approche, il fonde une communauté de représentants, ou églises qui poursuivront à leur tour l’évangélisation aux confins des frontières du Monde connu. Ainsi, la Religion de lumière portera dès son début, un caractère universel, souhaité par Mani lui-même. Durant son périple, Mani eut également l’occasion de se confronter à des représentants de diverses religions, et ainsi à intégrer leur langage, de façon à s’inscrire dans l’histoire spirituelle du monde. Le message de Mani n’était pas destiné à un peuple, à une civilisation, il est la couronne de chaque histoire religieuse. Ainsi, Mani se fera apôtre de Jésus Christ en Occident, descendant de Zarathoustra en Perse, et Bouddha de lumière en Inde des royaumes bouddhistes. Etant une figure éminemment sotériologique, il fera corps avec chaque tradition présentant un sauveur de l’humanité, en s’inscrivant dans une logique de succession, comme nous le verrons. De son vivant, c’est cependant en Perse que courront le plus de bruits, sorcier pour les uns, fils spirituel du prophète Zoroastre pour les autres, médecin influent de la cours de Shâpur, Mani suscitera milles réactions plus contradictoires les unes que les autres, mais restera sous la protection de Shapûr, qui en fera son conseiller privilégié, au détriment de son conseil de mages. Notons cependant que Mani, à la ressemblance de Jésus, n’aspire pas à faire de son message une révolution politique, tel que Zoroastre, 600 ans plus tôt, qui reformera la société mésopotamienne nord indienne, donc aryenne, et sa hiérarchie de caste. Son message de fraternité et de non-violence absolue (Mani refuse même d’arracher un brin d’herbe, conscient de la souffrance inhérente à la nature) sera alors incompatible avec les ambitions de conquête de l’Empire Sassanide qui infligera à l’empire romain de fameuses défaites.
A la mort de Shâpur, son fils Hormizd lui succède. Sensible au message de Mani, les mages dont l’herbâd Kartêr, exerceront une pression considérable de façon à conserver et même à renforcer leur pouvoir politique. Détrôné par son Frère Vahram, Hormizd et l’espoir d’une tolérance sassanide à l’égard du manichéisme comme à l’égard de toutes les religions, disparaîtront. Kartêr sera alors promu chef suprême du Mazdéisme, au titre de môbdeh et Vahram, convoquera alors Mani l’hérétique, afin de le blâmer et de le frapper officiellement d’anathème, le premier d’une longue série. Les acta Archelai , du nom d’un hérésiarque chrétien babylonien, rapportent au sujet de cette convocation : « Le roi lui dit : Comment se fait-il que Dieu te révèle cela, à toi, alors que nous sommes les maîtres de tout ce pays ? Mon Seigneur (Mani) répondit : C’est Dieu qui a la puissance…Ce que tu veux me faire, fais-le. Car je dois dire la Vérité, devant toi. ». Dès lors, Mani sera emprisonné à Belabad et condamné à porter de lourdes chaînes de fer jusqu’à ce que mort s’en suive. L’épisode durera 26 jours, longs moments d’agonie, ponctués par le soutien de ses disciples, de femmes nommées catéchumènes, qui recevront les derniers enseignements du prophète, probablement d’ordre eschatologiques. La tradition parlera de véritable Crucifixion, de Passion, en mémoire de celle de Jésus Christ, qui pour les manichéens, n’était qu’apparente dans son caractère historique car symbolique, en raison de leur croyance docétiéenne. Face à la mort imminente, tel un Ieoshoua selon St Jean face à son dernier soupir, Mani lèvera les yeux au ciel et clamera : « Oh Premier de la Justice, écoute la voix de l’opprimé…Mon sauveur. Oh Homme parfait, Vierge de la lumière, attirez vers Vous mon âme hors de cet Abîme. Tu m’as chargé de mission et envoyé…Ecoute ma supplique, en hâte. Délivre le captif des mains de ceux qui se sont emparés de lui. Délivre l’enchaîné de ses fers. ».
Les détails du devenir de la dépouille charnelle de Mani ne manquent pas dans les récits des historiographes musulmans. Empaillé et crucifié aux portes de la ville Gundeshapûr, l’exemple de la condamnation violente de l’hérétique marquera l’âge d’intolérance du règne des Vahram. Quant aux disciples du Paraclet de lumière, ils seront quant à eux persécutés, et contraints à l’exil. Cependant, dans les ténèbres mondaines de la prison de Belabad, Mani aura le temps de désigner son successeur, et ainsi le premier « Archegos » de l’Eglise manichéenne, un certain Sis de Kaskar.
Cette histoire du prophète, soutenue par des sources manichéennes du IV° siècle et arabes (al Bîrunî), a longtemps été mise sous silence au profit d’une version chrétienne très différente, tirée des Acta Archelaï, qui raconte l’épopée d’un jeune esclave dénommé Corbicus, adopté par une veuve, qui hébergea un pythagoricien du nom de Térébenthyne (qui se faisait également appelé Bouddha). Le jeune Corbicus, amateur de philosophie obscure et complexe, entreprit l’étude de 4 livres du philosophe Scythianos, qui pourrait bien n’être autre que le fameux gnostique Simon le Mage, laissés par Térébenthyne après sa mort. Corbicus décidera alors sous le nom de « Mani » de propager l’enseignement de ce Scythianos déformé par ses interprétations « erronées ». Les deux histoires concordent sur la fin de la vie de Mani, de son entrevue avec Shapûr, jusqu’à sa mort, si ce n’est qu’il tente par lâcheté, dans les Acta Archelaï, un subterfuge pour échapper à sa condamnation. Bien que cette dernière histoire soit une fable d’hérésiarque, destinée à discréditer le manichéisme, il apparaît que très tôt, un lien étroit entre manichéisme, pythagorisme et simonisme (dans son sens premier), fut établis, ce qui me pousse à croire en une certaine filiation « contrainte » par les pères de l’église, entre différentes doctrines « condamnables », à caractère ésotérique, émanées de religions païennes qui donneront naissance plus tard à ce que l’on nommera la « tradition ésotérique occidentale ». Le fait que Mani soit fils d’une veuve, n’est pas sans rappeler la condition de franc maçon, ce qui soutient cette hypothèse et fait remonter, non pas l’historicité, mais l’imaginaire maçonnique dans ses origines les plus primitives, à certains courants gnostiques, dont le manichéisme. L’histoire de Mani d’après Hégémonius, l’auteur présumé des Acta Archelaï fut reprise par K.G. Jung dans Mysterium conjunctionis. Nous y reviendrons.
"Le manichéisme", par Morgan Vasoni, revue "l'Initiation", dirigée par Yves-Fred Boisset, numéro 3, novembre 2006. Site officiel .
Bibliographie
Textes
* Nahal Tajadod, Mani le bouddha de lumière, catéchisme manichéen chinois, Cerf, 1991, ISBN 2-204-04064-9
Études
* Michel Tardieu, Le manichéisme, coll. Que Sais-Je ?, n° 1940, Paris, Presses Universitaires de France, 1981, 128 p. ; Deuxième édition corrigée, 1997.
* Michel Tardieu, Mani et le manichéisme. Le dernier prophète, dans Encyclopédie des religions, sous la direction de Fr. Lenoir, Y. Tardan-Masquelier, M. Meslin, J.-P. Rosa, Paris, Bayard Éditions, 1997, t. I, pp. 225-230.
* François Favre, Mani, Christ d'Orient, Bouddha d'Occident, Editions du Septénaire, 670 p., ISBN 2-915-17200-5
Romans
* Amin Maalouf, Les jardins de lumière (roman), Lattès, 1991, ISBN 2-253-06177-8