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"LE CHANT DE LA PERLE : CONTE MANICHEEN "
" Le Chant de la Perle
Adaptation: Pascale GERBAUD/François FAVRE, à partir des traductions proposées par P.-H.
POIRIER, J. MENARD, J. MAGNE, H. LEISEGANG, H. JONAS.
© François FAVRE, Mani Christ d'Orient, Bouddha d'Occident, ed. Septenaire, 2002
1. Encore enfant, je vivais dans mon royaume, la maison de mon Père, jouissant de
l’abondance des richesses que me prodiguaient mes parents, lorsqu’ils m’envoyèrent, après
m’avoir équipé, loin de l’Orient, ma patrie.
2. Ils puisèrent abondamment dans la richesse de notre trésor et en firent un ballot qu’ils
m’attachèrent;
3. Il était gros, et pourtant si léger qu’à moi seul je pouvais le porter.
4. C’était de l’or du pays d’Ellâjé, de l’argent du grand royaume de Kasak, des chalcédoines
d’Inde, des pierres chatoyantes du pays de Kushân.
5. Ils me ceignirent du diamant qui taille le fer.
6. Ils me retirèrent le vêtement resplendissant que, dans leur amour, ils m’avaient fait, ainsi
que mon manteau de pourpre, tissé et ajusté à ma mesure.
7. Ils conclurent un pacte avec moi et ils l’écrivirent dans mon coeur, afin que je ne l’oublie
pas: «Si tu descends jusqu’au fond de l’Égypte, et que tu rapportes la perle unique, celle qui
est au milieu de la mer, là où demeure le serpent sifflant, tu revêtiras à nouveau ton vêtement
resplendissant et ton manteau ajusté à ta mesure qui le recouvre, et avec ton frère, notre
Second, tu seras l’héritier de notre royaume.»
8. (C’est ainsi que) je quittai l’Orient.
9. Je descendis accompagné de deux messagers, car le chemin était difficile et semé
d’embûches et j’étais encore jeune pour un tel voyage.
10. Je franchis les frontières de la Mésène, le point de rencontre des marchands de l’Orient,
atteignis le pays de Babel et passai les murs de Sarbug (= Labyrinthe).
11. Je descendis jusqu’au fond de l’Egypte ; là, mes compagnons me quittèrent.
12. Je me dirigeai directement vers le serpent et restai aux alentours de sa demeure,
attendant qu’il s’endorme afin de lui ravir la perle.
13. Alors qu’ainsi je me trouvai absolument seul, étranger aux habitants de ces lieux, je vis un
de ceux de ma race, un homme libre, un oriental, jeune, beau et gracieux, un fils de l’onction;
il s’approcha et se lia à moi, et je fis de lui mon ami intime, mon compagnon à qui je confiai
mon affaire.
14. Il me mit en garde contre les Égyptiens et le contact avec les êtres impurs, et je me
revêtis de leurs vêtements, afin que personne ne me soupçonnât d’être un étranger venu pour
s’emparer de la perle, ni n’excitât le serpent contre moi.
15. Mais pour une raison ou pour une autre, ils remarquèrent que je n’étais pas un fils de leur
pays; par leurs ruses perfides ils me prirent au piège et ils me donnèrent à manger de leur
nourriture.
16. J’oubliai que j’étais fils de roi et je servis leurs rois. J’oubliai la perle pour laquelle mes
parents m’avaient envoyé (faire ce voyage) et à cause de la lourdeur de leur nourriture, je
tombai dans un profond sommeil.
17. Mais mes parents surent tout ce qui m’était arrivé, et en furent affligés.
18. Un message fut proclamé dans notre royaume, ordonnant à tous les rois et les chefs de
Parthie, à tous les grands de l’Orient, de venir à la cour (de notre palais),
19. Et ils décidèrent de ne pas m’abandonner en Égypte.
20. Ils m’écrivirent alors une lettre, que chaque grand signa de son nom: «De ton Père, le Roi
des Rois, de ta Mère, la souveraine de l’Orient, et de ton Frère, notre second, à toi, notre Fils
en Egypte, salut ! Réveille-toi, sors de ton sommeil et écoute les paroles de notre lettre.
Souviens-toi que tu es fils de roi. Vois dans quel esclavage tu es tombé.
Souviens-toi de la perle pour laquelle tu es parti en Égypte. Pense au vêtement resplendissant
que tu revêtiras. Pense au manteau glorieux dont tu te pareras lorsque dans le livre des héros
ton nom sera écrit et qu’avec ton frère, notre Second, tu hériteras de notre royaume.»
21. Le Roi avait scellé la lettre de sa main droite contre la méchanceté des fils de Babel et des
démons furieux de Sarbug.
22. Elle s’envola comme l’aigle, le roi de tous les oiseaux; elle vola, se posa près de moi et
devint toute parole.
23. Je m’éveillai au son de son cri et je sortis de mon sommeil. Je la pris contre moi,
l’embrassai, défis son sceau et lus.
24. Les paroles de la lettre étaient celles-là mêmes qui étaient gravées dans mon coeur. Je me
souvins alors que j’étais fils de roi, et la noblesse de ma naissance se rappela à moi. Je me
souvins de la perle pour laquelle j’avais été envoyé en Egypte.
25. C’est ainsi que je me mis à charmer le terrifiant serpent sifflant. En prononçant sur lui le
nom de mon Père, le nom de notre Second et celui de ma Mère, la reine de l’Orient, je le
plongeai dans le sommeil. Je m’emparai alors de la perle et me retournai (entrepris de
retourner) vers la maison de mon Père.
26. Leur vêtement souillé et impur, je m’en dépouillai et l’abandonnai dans leur pays, puis je
me mis en route vers la lumière de l’Orient, notre patrie.
27. Ma lettre, qui m’avait tiré hors du sommeil, me précédait sur le chemin ; de même qu’elle
m’avait éveillé par sa voix, elle me guidait maintenant par sa lumière: l’éclat resplendissant de
la soie de Séleucie m’éclairait et par ses paroles, m’encourageait dans ma hâte, me guidant et
m’attirant dans son amour.
28. Je sortis (d’Égypte), passai Sarbug, laissai Babel sur ma gauche et parvins à la grande
Mésène, le port des marchands sur le bord de la mer.
29. Là me furent portés, des hauteurs d’Hyrcanie, mon vêtement resplendissant que j’avais
quitté et ma toge qui le recouvrait, de la part de mes parents, par leurs trésoriers, à qui on les
avait confiés à cause de leur fidélité.
30. Soudainement, alors que je ne me souvenais plus de la façon dont il était fait, car j’étais
encore enfant lorsque je l’avais laissé dans la maison de mon Père. Dès qu’il fut devant moi,
mon vêtement resplendissant me ressembla tel mon miroir. Je le vis en moi-même tout entier,
comme moi-même je me retrouvai tout entier en lui, car deux étions-nous dans la division,
séparés l’un de l’autre, et pourtant un à nouveau, dans une seule forme.
31. Il en fut de même pour les trésoriers qui me l’avait apporté, je vis aussi qu’ils étaient deux
et pourtant une seule forme, car unique était le sceau gravé sur eux, celui du roi qui, par leurs
mains, me rendait le gage de ma richesse: mon vêtement resplendissant, magnifique, orné
d’éclatantes couleurs, d’or, de béryles, de chalcédoines et de pierres chatoyantes, toutes ses
coutures bien cousues dans sa hauteur, rehaussées de diamants. L’image du Roi des rois le
recouvrait tout entier et ses couleurs étincelaient comme des saphirs.
32. Je vis qu’il vibrait tout entier des forces de [la connaissance] et comme à parler je vis aussi
qu’il s’apprêtait, j’entendis le son des mélodies qu’il murmurait en s’approchant: «J’appartiens
au plus dévoué des serviteurs, à la mesure duquel j’ai été taillé devant (la face) du Père; j’ai
senti que ma taille croissait avec ses oeuvres». Dans son émotion royale, il se tendait vers moi
de tout son être et me poussait à le prendre des mains de ceux qui le présentaient. Mon amour
me pressait aussi à courir à sa rencontre et à le recevoir.
33. Je me tendis vers lui, et le reçus.
34. Je me parai de la beauté de ses couleurs et m’enveloppai tout entier de mon manteau aux
teintes éclatantes.
35. Ainsi revêtu, je remontai à la porte du salut et de l’adoration.
Je courbai la tête, et j’adorai la splendeur de mon Père, dont j’avais suivi les ordres et qui avait
accompli ce qu’il avait promis en envoyant mon vêtement vers moi.
36. À la porte de ses princes, je me mêlai aux grands, il se réjouit à mon sujet et me reçut, et
je fus avec lui dans son royaume. Tous ses serviteurs le louaient devant son [trône] en
l’invoquant. Il me promit que j’irais aussi avec lui à la porte du Roi des rois et que je paraîtrais
en même temps que lui devant notre Roi, avec l’offrande de ma perle.
Nota: lire aussi Le Récit de l’exil occidental, de Sohravardi (traduction H. Corbin), qui s’inspire
du Chant de la Perle.
Date de création : 09/01/2010 • 15:33
Dernière modification : 09/01/2010 • 15:33
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