L'unique nécessaire
Deux ans avant sa mort, en 1668, Jan Amos Comenius délivra au monde ce "testament" spirituel. Né dans une communauté spirituelle libératrice, il en devint assez rapidement le dirigeant, et prit la direction de la deuxième vague de la Rose-Croix du XVIIe siècle. Comenius nous incite à une exploration de la pédagogie thérapeutique spirituelle moderne. Dans L'unique nécessaire, nous voyons qu'aucun redressement profond de l'humanité ne peut ni ne pourra se faire si les trois aspects, corporel, psychologique et spirituel de l'homme aussi bien individuel que social ne sont pas sérieusement pris en compte.
Extrait:
Unique Nécessaire - Chapitre VI
Grâce aux règles chrétiennes, l’homme cultivé et versé dans les sciences peut rendre droit ses propres chemins tortueux et ceux des écoles. Il apporte ainsi une possibilité de réalisation plus sûre et évite les déceptions.
1. De quoi l'homme a-t-il besoin ? Il doit s’adapter de façon correcte aux choses impersonnelles de ce monde des apparences, face à Dieu et aux hommes. La première, on l'appelle la philosophie,
la deuxième la politique,
la troisième la religion.
Sans ces trois, l'homme ne serait pas homme, mais seulement une créature dépourvue de raison, qu’il soit saturé de richesse, d'honneur et de tous les biens matériels. Un malade n'a que faire d'un lit en or. Une vie brillante n'est d'aucune utilité à un insensé.
“Le sage a ses yeux dans la tête, mais l'insensé marche dans les ténèbres” (Eccl.2, 14). Car le but de la sagesse et de la culture n'est pas de faire suivre à l'homme, tel un animal, les mouvements de la masse se dirigeant là où il ne doit pas aller. Il doit voir clairement devant lui sa vie et son destin et s'y conformer de façon intelligente, tirer les conséquences du passé, et percevoir le présent avec discernement, les yeux tournés vers l'avenir.
2. A-t-on besoin de beaucoup de choses pour allumer cette lumière de la sagesse ? Si les hommes se laissent conduire par Dieu, seuls la crainte de Dieu, la prière et trois livres seront nécessaires.
La crainte de Dieu pour éviter de devenir téméraire ou négligent, poussé uniquement par la désinvolture ou la simple curiosité. Devenir semblable à Dieu est une chose sacrée.
Chacun doit l'approcher avec respect et humilité. La crainte de Dieu est le début de la sagesse (Prov. 1, 7)1.
La fervente prière doit nous le montrer. Nous n’y avons aucun mérite, mais grâce à l'espoir mis dans la miséricorde de Dieu, nous pourrons accéder aux sources de la Lumière et du Salut. Daniel et Salomon ont agi bien plus sagement que tous les autres hommes. Ils ont eu accès à la Sagesse grâce à leurs prières, et pas aux autres biens. Elle est promise à chacun, s’il invoque Dieu pour l'obtenir (Jacques. 1, 5)
2.La source de toute sagesse, la parole de Dieu venant d’en haut, s'exprime de triple façon :
premièrement, elle est introduite en chaque créature raisonnable, anges et hommes, comme une lumière de la raison ;
deuxièmement, il a apposé son sceau sur toutes les créatures corporelles qui peuplent le monde ; troisièmement, elle a été proclamée par les envoyés de Dieu et mise en langage prophétique sur son ordre.
Ainsi, il y a aussi trois chemins vers la sagesse. Le premier est le bon sens, doté d'un pouvoir de discernement naturel à éclairer par la raison ;
le deuxième est le monde avec ses créatures à soumettre à l'aide des sens ; le troisième est le livre de la Bible rempli de mystères dévoilés. Ils peuvent être sondés par la foi. Ces trois livres divins contiennent tout le savoir nécessaire. Ils sont l'Unique nécessaire pour accéder à la sagesse.
3. L'apprentissage de la sagesse est-il facile ou difficile ? Les deux. Ce serait une vraie joie paradisiaque et une grande volupté pour notre âme, façonnée à l'image de Dieu, que de tout faire selon les conseils de Dieu. Mais du fait de sa dégénérescence, tout n'est que labyrinthe, épreuves de Sisyphe et grosses déceptions.
4. Qu'on nous explique cela ! D'après la volonté de Dieu, la philosophie devrait permettre la domination licite de l'homme sur toute chose du monde des apparences, sur toutes les créatures à lui soumises. Cette domination est possible grâce à un intérêt bienveillant envers elles, à un gouvernement raisonnable et à une utilisation intelligente. Selon les lois de la nature, la politique consiste en une cohabitation pacifique des hommes, dans le but d'un soutien mutuel dans la vie et d'une aide mutuelle par le conseil et l'action. Son fondement est le suivant : faites aux autres ce que vous voulez que les autres vous fassent. L'essence de la religion est le fait de croire en Dieu lorsqu'il nous révèle sa volonté, d’obéir à ses commandements, de croire en ses promesses toujours et partout, dans toutes les situations de la vie, sans hésitation.
5. Cela est-il facile ? Oui, c'était le cas. Mais les hommes ont négligé le jardin de Dieu, ils ont laissé croître les ronces et les mauvaises herbes. Ils l'ont laissé se transformer en jungle. Le nombre des apparences est tellement grand, le nombre des opinions, des points de discorde compliqués et des divergences d'opinion conséquentes, est infini ; d'innombrables livres, apparemment savants, ont été écrits là-dessus et dans plusieurs langues différentes. Mais la confusion augmente sans cesse ; et combien de différentes méthodes, ajoutant à la difficulté, n'a-t-on pas élaborées pour les transmettre aux générations futures ! De nombreuses langues, dont les auteurs, voulant paraître savants, se sont évertués à compliquer les choses à l’infini par rivalité mutuelle. Tous les écrivains ne cessent donc d'errer dans un labyrinthe sans fin, soulèvent d’énormes rocs et ne peuvent qu’être victimes de cruelles déceptions et opprobres.
6. Mais comment ? Tu prétends : ces choses créées par la main d'artiste de Dieu, c'est-à-dire notre raison, le monde et sa parole, sont un labyrinthe ?
Je dis : oui. Car leur diversité et leur nombre sont immenses : tu peux chercher ici ou là ou ailleurs un début ou une fin sans jamais les trouver. Les livres sacrés ont un sens si profond et si divers : la raison humaine ne l'a pas encore sondé et compris jusqu'à aujourd'hui. Peux-tu compter les pensées surgies à leur propos dans l'esprit des physiciens et des philosophes, des mathématiciens et des historiens, des politiciens et des théologiens ; les points de discorde quotidiennement à l’ordre du jour et les opinions divergentes émergeant de ces points de discorde ?
Pourquoi Dieu, dans son infinie sagesse, a-t-il livré ces trésors à l'investigation de la pensée ? Uniquement dans le but d'égarer l'esprit de l'homme et de le faire chercher vainement ? Non, mais afin de percevoir plus clairement la différence entre lui, créature, et le créateur.
7. Si tel est le but, les réflexions sur ce sujet peuvent-elles être préjudiciables ? Il n'en serait pas ainsi si les hommes étaient humbles et s'ils apprenaient à être de simples élèves de l'éternelle sagesse.
Mais la majorité d'entre eux agit de façon écervelée ; ils n'aiment que trop leur orgueil. Ils sont en adoration devant leurs petites étincelles d'esprit comme devant un soleil. Ils attendent des autres le même comportement. C’est là l'origine de toutes les oppositions et disputes nommées avec orgueil “divergences d'opinions entre gens lettrés”. Ils en ont tellement saturé le monde ! Interminables sont les hostilités et les labyrinthes !
8. Mais nous avons des livres dans lesquels sont rassemblés les trésors des pensées justes ? N'apportent-ils pas une aide pour connaître la sagesse ? Oui, ils devraient préserver de toute déviance et montrer à l'homme, si facilement imbu de sa propre sagesse, le vrai chemin. Mais ces livres dans leur état actuel ne sont en fait qu'un labyrinthe de plus pour qui s'y plonge sans guide. Leur nombre est bien trop grand et une vie ne suffirait pas pour n'en lire qu'un millième. La matière en est bien trop dense pour qu'il soit possible à un cerveau humain d’en venir à bout sans être pris de vertige. Bien des livres n’ont qu’une fonction décorative. Sans grande utilité ils sèment la confusion, n'apportent pas vraiment la clarté. Ils sont en fait très dangereux. Ceci explique le nombre impressionnant de soi-disant savants et d'érudits cinglés, mais aussi la rareté des vrais savants et des sages. Car “Dieu anéantit la sagesse des sages et il rejette la raison des insensés” (1 Cor. 1, 19)3. Si tu vois un gros livre ou mieux encore, une vaste bibliothèque, éprouve de la compassion pour les humains plongés dans la détresse. Ils se torturent l'esprit avec maints labyrinthes et n'en éprouveront finalement que de la honte. Les friandises attirent le gourmand pour finalement le décevoir avec la nausée, la maladie et une mort prématurée ; les tentations de la connaissance dans les nombreux et divers livres n'apportent à l'esprit qu'une satiété dangereuse, recèlent la frustration, la maladie et le dépérissement. Les plus sensés commencent déjà à s'inquiéter : si personne ne peut arrêter ce déluge immense et toujours grandissant de livres, il est à craindre que les hommes ne lisent plus rien. Ils ne croiront plus en rien et l'athéisme et le manque de foi recouvriront tout. On en voit déjà les prémisses ici ou là, surtout chez les peuples qui se croient très évolués.
9. Alors, quel est le conseil que tu peux donner pour que la lecture des livres ne devienne pas un labyrinthe ? Tiens-toi à un livre unique et indispensable et ne te laisse pas persuader de perdre ton temps avec des livres inutiles. Ne lis pas beaucoup de livres, mais de bons livres. Choisis un livre classique sur un sujet donné, celui qui t’apportera une vérité objective. Et tiens-t’en à celui-ci. Lis-le avec attention, prends des notes sur les choses essentielles et ne te laisse pas frustrer par l'écrivain. Ne lui accorde pas trop d’importance. Ensuite, relis les extraits encore et encore, que ta mémoire s'en imprègne et tente de faire une application pratique de ta lecture. Ainsi la plupart des bons écrivains peuvent entrer dans ta chair et ton sang. Ainsi tu te nourriras de la moelle de la sagesse. Tu ne l'auras plus seulement dans tes notes mais surtout dans ton cœur et dans ta tête. Si les écoles voulaient bien utiliser cette méthode, elles n'épargneraient pas seulement à la jeunesse, mais aussi à l'église, à l'Etat et au monde de faire de nombreuses erreurs et d'emprunter les voies détournées de l’illusion.
10. Tu oses demander si peu pour une affaire aussi importante ? Oui, j'ose en me référant à Christ qui disait : qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais aura la Lumière de la Vie (Jean 8, 12), au cas où il déciderait de suivre ce guide et cette lumière (c'est-à-dire lorsqu'il accepte de mettre de côté les livres écrits par les hommes et qu'il cherche l'illumination dans les seuls livres de Dieu). C'est le bon choix qu'a fait Marie, lorsqu’elle s'est assise aux pieds de Jésus pour écouter sa parole en oubliant tout le reste autour d’elle.
11. La Bible elle-même n'est-elle pas un labyrinthe pour l'esprit humain, avec ses passages mystérieux et inexplicables, avec son sens profond ? Voilà ce qu'éprouve le débutant. Mais en réalité les difficultés sont moins grandes qu'elles n'y paraissent. Un si parfait maître d'œuvre ne pouvait vouloir comme terrain d’évolution pour sa sagesse (le monde, l'esprit humain, sa parole) qu'un endroit où règne la parfaite symétrie. Comme toute erreur est exclue dans la perfection, les humbles et attentifs élèves de Dieu n'en trouveront pas non plus. Même si dans notre humaine imperfection nous nous égarons de temps en temps, cela se produira moins souvent que pour ceux qui suivent d'autres maîtres si nous nous laissons guider par Dieu . Il conduit sur les chemins de la sagesse et guide les sages (Sagesse 7, 15)4. Et nous ne manquons pas de conseils avisés de Dieu en ce qui concerne notre compréhension de sa sagesse, du livre de la création, de l'esprit et de la Bible.
Source: http://www.espacedurobec.fr/