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Héraclite d'Éphèse
Eraclite n'est pas un gnostique. Il serait plutôt dans le courant de pensée d'une gnoséologie agnostique tel le Bouddhisme Zen. C'est un philosophe de la nature qui observe son éternel mouvement. Il n'y a pas d'être en soi, ni immanence. Dieu lui-même serait en perpétuel mouvement de création de nature qui elle même créerait Dieu, l'unité de l'être rendant impossible la déduction de l'avenir et de la multiplicité.
La pensée d'Héraclite, parfois désignée sous le nom de mobilisme, est l'extrême opposé de l'éléatisme.
Ces thèses seront combattues par presque tous les philosophes dogmatiques, car elles nient le principe d'identité et abolissent le raisonnement purement logique. Platon reprend par exemple la thèse héraclitéenne d'un flux perpétuel, mais y ajoute sa théorie des Idées.
Des différentes thèses que l'on peut isoler des fragments de l'oeuvre d' héraclite, les plus importantes se rapportent à une idée centrale : l'unité dynamique des opposés. Cette unité s'exprime dans la tension interne des choses : c'est la guerre, coexistence conflictuelle des contraires et condition nécessaire de tout ce qui est. « Il faut savoir que la guerre est commune et que le droit est conflit et que toutes choses adviennent par le conflit et la nécessité. » L'être humain doit tenter de saisir cette cohérence profonde des choses qu' héraclite nomme Logos . Parce que Logos en Grec ancien désigne simultanément la parole, l'explication donnée par cette parole et la raison dont cette parole est l'expression, héraclite prend soin de distinguer son témoignage et le « Logos » que ce témoignage révèle : « Si ce n'est moi, mais le Logos, que vous avez écouté, il est sage de convenir que toutes choses sont Un. »
Héraclite d'Éphèse (en grec ancien Ἡράκλειτος ὁ Ἐφέσιος / Hêrákleitos ho Ephésios) est un philosophe grec de la fin du VIe siècle av. J.-C.
Biographie
Héraclite naquit à Éphèse dans la seconde moitié du VIe siècle av. J.-C., vers 544-541 av. J.-C. (il avait quarante ans dans la 69e Olympiade, 504-501 av. J.-C., selon Diogène Laërce, IX, 1). D'après Aristote, il serait mort à l'âge de 60 ans, donc vers 480 av. J.-C. (selon D.L., VIII, 52, à condition, toutefois, de ne pas admettre la substitution de « Héraclite » par « Héraclide »). Des lettres apocryphes[1] le désignent comme un contemporain de Darius Ier ; ce dernier aurait invité Héraclite à sa cour, mais le philosophe refusa l'invitation. D'autres sources situent sa floraison dans la 80e ou la 81e Olympiade[2] ; en effet, selon Strabon, Hermodore, un Éphésien qui avait aidé les décemvirs romains pour la confection des XII Tables, était un ami d'Héraclite. Héraclite serait donc né après 510 av. J.-C., et mort autour de 450 av. J.-C. Mais cette dernière datation n'est pas généralement retenue, car la différence d'âge suffirait à résoudre cette contradiction.
Il y a en revanche unanimité des Anciens sur son lieu de naissance, Éphèse[3]. Il était fils de Bloson (ou Blyson) ou, selon d'autres traditions, d'Hérakôn (D.L., IX, 1). Ce dernier nom était peut-être en fait celui de son grand-père.
Héraclite était issu d'une famille illustre et sacerdotale. Il renonça en faveur de son frère aux privilèges que lui donnait le statut de descendant de Codros, roi d'Athènes, dont le fils, Androclès, fonda Éphèse. Parmi ces distinctions, on comptait la fonction honorifique de roi ou la présidence des cérémonies de Déméter[4]. Il lutta contre les démocrates de sa ville, et n'était guère apprécié de ses concitoyens. Son ami Hermodore fut banni de la ville :
« Les Éphésiens méritent que tous ceux qui ont âge d’homme meurent, que les enfants perdent leur patrie, eux qui ont chassé Hermodore, le meilleur d’entre-eux, en disant : « Que parmi nous il n’y en ait pas de meilleur ; s’il y en a un, qu’il aille vivre ailleurs ». »
(Fragment 121, Diogène Laërce, IX, 2)
Lui-même semble avoir été persécuté pour athéisme (mais cette assertion est tardive et on la trouve chez des auteurs chrétiens, Justin de Naplouse et Athénagore).
Bien avant l'heure, il aurait appliqué à la lettre le Connais-toi toi-même, car, disait-il, « il faut s'étudier soi-même et tout apprendre par soi-même »[5]. Nous ne savons d'ailleurs rien de ses maîtres ; les anciens ne savaient pas où le situer dans la série des philosophes. Il semble donc avoir été un autodidacte. Néanmoins, certains en font un disciple de Xénophane[6] ou du pythagoricien Hippase de Métaponte, et Hippolyte de Rome le range parmi les pythagoriciens.
Les anecdotes sur sa mort sont contradictoires. Ermite, il partit vivre dans les montagnes, vivant de plantes ; mais, étant tombé malade il mourut d'hydropisie, d'autres disent qu'il mourut plus tard d'une autre maladie.
Allégations courantes
C'est l'un des rares Présocratiques dont nous connaissions un peu le caractère, d'humeur mélancolique[7], sans pouvoir véritablement distinguer la légende de la vérité. En effet, cet auteur essaye d'exprimer une vérité qui bouscule la pensée rationnelle, car pour lui la logique de la pensée ne peut atteindre l'épicentre de la philosophie. Pour certains de ses commentateurs, cela entraîne une frustration qui ne peut s'avouer. Ne pouvant nier la pertinence de l'œuvre, pour la discréditer et la reléguer à l'obscurantisme, son auteur est qualifié de :
* Méprisant et irritable :
« Héraclite appelait jeux d'enfant les pensées des hommes[8] ». Lorsque cette phrase est prise au premier degré, elle n'exprime que le mépris et Héraclite serait un bien piètre pédagogue qui n'aurait aucunement marqué l'Histoire. Par cette phrase Héraclite rappelle succinctement la puissante séduction que peut exercer le discours mondain, brillant, qui ce faisant, reste toujours à l'écart de la vérité essentielle que propose la philosophie.
* Misanthrope :
Selon de nombreux auteurs[9], il pleurait de tout quand Démocrite riait de tout. Lucien de Samosate en a fait un portrait dans Les Sectes à l'encan (14) :
« Le marchand : Et toi, mon cher, pourquoi pleures-tu, car je préfère causer avec toi ?
Héraclite : Je regarde toutes les choses humaines, ô étranger, comme tristes et lamentables, et rien qui n'y soit soumis au destin : voilà pourquoi je les prends en pitié, pourquoi je pleure. Le présent me semble bien peu de chose, l'avenir désolant : je vois l'embrasement et la ruine de l'univers : je gémis sur l'instabilité des choses ; tout y flotte comme dans un breuvage en mixture ; amalgame de plaisir et de peine, de science et d'ignorance, de grandeur et de petitesse : le haut et le bas s'y confondent et alternent dans le jeu du siècle.
Si l'on prend la peine de décrypter le discours du philosophe, loin d'être méprisant, décrit au contraire la dérive de l'humanité à travers sa violence aveugle qu'elle soit militaire, politique, financière. Il dénonce la perpétuation de la souffrance, dans une confusion où se côtoie indistinctement le meilleur et le pire, les découvertes médicales et les atrocités de la guerre, et toute autre forme d'injustice qui se répète au travers des siècles.
* Méprisant l'érudition :
πολυμαθίη νόον (ἔχειν) οὐ διδάσκει• Ἡσίοδον γὰρ ἂν ἐδίδαξε καὶ Πυθαγόρην αὖτις τε Ξενοφάνεά (τε) καὶ Ἑκαταῖον.
« La polymathie n’enseigne pas l’intelligence ; elle eût enseigné Hésiode et Pythagore, ainsi que Xénophane et Hécatée. »
(Fragment 40, Diogène Laërce, IX, 1)
Étrangement Héraclite subit des siècles durant la réputation d'obscur, alors qu'il a été peut-être traduit selon un contexte trop judéo-chétien, sans le savoir il décrit son devenir dans cette maxime : « Ce n’est pas ce que pensent la plupart de ceux que l’on rencontre ; ils apprennent, mais ne savent pas, quoiqu’ils se le figurent à part eux. »[10].
Pour la défense d'Héraclite, la référence à Nietzsche est recommandée. Voir ouvrage cité dans la bibliographie.
Sur la nature [modifier]
On suppose en suivant les anciens qu'Héraclite écrivit un seul et unique livre dont il ne nous reste que quelques fragments (plus d'une centaine). Selon la Souda, « il écrivit beaucoup d'ouvrages, en un style poétique », mais cette dernière indication est évidemment très incertaine.
Ce livre, dont l'existence demeure hypothétique[11], aurait été écrit en ionien, langue d'Héraclite, et est désigné sous le titre Sur la nature (Περὶ φύσεως / Perì phýseôs). On le connaît également sous le titre de Mousai, les Muses (titre qui semble venir de Platon[12]). Il existe également des lettres apocryphes d'Héraclite.
Hypothèses sur cette œuvre [modifier]
« Héraclite l'Obscur », détail de l'École d'Athènes de Raphaël, 1509
Héraclite aurait déposé son œuvre sur l'autel d'Artémis[13]. On peut y voir la volonté de protéger son œuvre écrite dans un lieu sûr de sa région natale, pour éviter qu'elle soit perdue[14]. Héraclite fut en effet, avec Anaximandre, l'un des plus anciens auteurs à mettre par écrit des textes en prose. Peut-on aussi y voir un geste d'une générosité désespérée ? Car située à la frontière entre le monde civilisé et le monde sauvage, Artémis aurait ainsi pu en faire bon usage, elle qui préside à l'initiation des petits d'hommes et d'animaux et les accompagne jusqu'au seuil de la vie adulte. Ce livre totalement incompris et oublié par l'histoire, lui valut en effet le surnom d'« Héraclite l'Obscur », car on jugeait la compréhension de sa pensée difficile en raison d'une écriture poétique, de l'abondance des formules paradoxales, à quoi s'ajoutait[15] l'absence de toute ponctuation, un style haché et détaché. Étrange sort réservé à ce livre dont la densité l'élèverait au rang d'œuvres mondiales tel le Tao-Te-King ou les Yoga Sutras, et qui reste victime de l'oubli et de commentaires aussi peu élogieux que peu vérifiables. Aristote se plaint ainsi :
« C'est tout un travail de ponctuer Héraclite, car il est difficile de voir si le mot se rattache à ce qui précède ou à ce qui suit. Par exemple au commencement de son ouvrage, il dit : le logos / ce qui est / toujours / les hommes sont incapables de le comprendre. Il est impossible de voir à quoi toujours se rattache, lorsque l'on ponctue.[16] »
Une autre interprétation peut se décrypter ainsi :
le logos : l'ordre divin,
ce qui est toujours : ce qui a toujours existé et existera toujours,
les hommes sont incapables de le comprendre : l'homme accaparé par ses préoccupations matérielles ne s'en soucie guère.
Ce style semblait mieux convenir à la profondeur de sa pensée ; et, en effet, il compare ses discours aux propos graves et inspirés de la Sybille et aux oracles du dieu de Delphes. Ce ton oraculaire a été bien souvent mal perçu, car lorsque le lecteur s'en donne la peine, il y trouve non pas l'obscurité, mais au contraire de multiples interprétations possibles amenant le lecteur au sens le plus profond de la philosophie.
Composition du De la nature
D'après Diogène Laërce (IX, 5), l'ouvrage d'Héraclite aurait été composé de trois parties : Sur le tout ou Sur l'univers (Peri tou pantos), Sur la politique et Sur la théologie. Cette division thématique relève cependant d'un anachronisme basé sur des divisions scolaires datant de la période hellénistique[17]
Nous ne connaissons pas le titre de l'œuvre d'Heraclite — si toutefois elle en avait un — et il n'est pas très facile de se faire une idée claire de son contenu. On nous dit qu'elle se divisait en trois discours : un traitant de l'univers, un de politique et un de théologie 8. Il n'est pas probable que cette division soit due à Heraclite lui-même; tout ce que nous pouvons inférer de cette indication, c'est que ce livre, de par sa nature, se divisait en ces trois parties quand les commentateurs stoïciens se mirent à en faire leurs éditions. Le style d'Heraclite est proverbialement énigmatilque, et il lui valut, à une date postérieure, le surnom d'« Obscur 9». Les fragments relatifs au dieu delphique et à la Sibylle semblent montrer qu'il avait conscience d'écrire en style oraculaire, et nous avons à nous demander pourquoi il le fit. En premier lieu, c'était la manière du temps 10. Les événements impressionnants de cette époque et l'influence de la renaissance religieuse faisaient prendre un ton quelque peu prophétique à tous les conducteurs de la pensée. Pindare et Eschyle en usent de même. Ils sentent tous qu'ils sont en quelque mesure inspirés. C'est aussi l'époque des grandes individualités, qui sont portées à la solitude et au dédain. C'était, du moins, le cas d'Heraclite. Si les hommes veulent se donner la peine de creuser pour avoir de l'or, ils peuvent le trouver ; sinon il faut qu'ils se contentent de paille.. Telle paraît avoir été l'opinion représentée par Théophraste, qui disait que l'obstination d'Heraclite l’avait conduit parfois à des exposés incomplets et contradictoires. Mais c’est là une chose très différente de l’obscurité voulue et de la disciplina arcani qu’on lui attribue quelquefois ; si Héraclite ne se détourne jamais de sa voie pour rendre sa pensée claire, il ne la cache pas non plus.
Doctrine
La pensée d'Héraclite, parfois désignée sous le nom de mobilisme, est l'extrême opposé de l'éléatisme. En effet, pour Parménide, l'unité de l'être rend impossible la déduction du devenir et de la multiplicité ; pour Héraclite, au contraire, l'être est éternellement en devenir. Héraclite nie ainsi l'être parménidien.
Les choses n'ont pas de consistance, et tout se meut sans cesse : nulle chose ne demeure ce qu'elle est, et tout passe en son contraire.
« À ceux qui descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d’autres et d’autres eaux. »[18] »
Tout devient tout, tout est tout. Ce qui vit meurt, ce qui est mort devient vivant : le courant de la génération et de la mort ne s'arrête jamais. Ce qui est visible devient invisible, ce qui est invisible devient visible ; le jour et la nuit sont une seule et même chose ; il n'y a pas de différence entre ce qui est utile et ce qui est nuisible ; le haut ne diffère pas du bas, le commencement ne diffère pas de la fin :
« La mer est l’eau la plus pure et la plus souillée ; potable et salutaire aux poissons, elle est non potable et funeste pour les hommes.[19] »
« Joignez ce qui est complet et ce qui ne l’est pas, ce qui concorde et ce qui discorde, ce qui est en harmonie et en désaccord ; de toutes choses une et d’une, toutes choses.[20] »
Rien n'est donc plutôt ceci que cela, mais tout le devient. Les choses ne sont jamais achevées, mais sont continuellement créées par les forces qui s'écoulent dans les phénomènes. Les choses sont des assemblages de forces contraires, et le monde est un mélange qui doit sans cesse être remué pour qu'elles y apparaissent :
« La guerre est le père de toute chose, et de toute chose[21] »
Le logos
εἶναι γὰρ ἓν τὸ σοφόν, ἐπίστασθαι γνώμην, ὁτέη ἐκυϐέρνησε πάντα διὰ πάντων.
« II n’y a qu’une chose sage, c’est de connaître la pensée qui peut tout gouverner partout. »
(Fragment 41, Diogène Laërce, IX, 1)
Cette connaissance est la sagesse, et elle consiste à suivre l'un :
νόμος καὶ βουλῇ πείθεσθαι ἑνός.
« La loi et la sentence sont d’obéir à l’un. »
(Fragment 33, Clément d'Alexandrie, Stromates, V, 116)
ἓν τὸ σοφὸν μοῦνον λέγεσθαι οὐκ ἐθέλει καὶ ἐθέλει Ζηνὸς ὄνομα.
« L’un, qui seul est sage, veut et ne veut pas être appelé du nom de Zeus. »
(Fragment 32, Clément d'Alexandrie, Stromates, V, 116)
Mais, bien que le logos soit commun à tous les hommes, ces derniers l'ignorent comme s'ils avaient chacun une intelligence propre (Fragment 2) :
(τοῦ δὲ) λόγου τοῦδ' ἐόντος (ἀεὶ) ἀξύνετοι γίγνονται ἄνθρωποι καὶ πρόσθεν ἢ ἀκοῦσαι καὶ ἀκούσαντες τὸ πρῶτον· γινομένων γὰρ (πάντων) κατὰ τὸν λόγον τόνδε ἀπείροισιν ἐοίκασι, πειρώμενοι καὶ ἐπέων καὶ ἔργων τοιούτων, ὁκοίων ἐγὼ διηγεῦμαι διαιρέων ἕκαστον κατὰ φύσιν καὶ φράζων ὅκως ἔχει. τοὺς δὲ ἄλλους ἀνθρώπους λανθάνει ὁκόσα ἐγερθέντες ποιοῦσιν, ὅκωσπερ ὁκόσα εὕδοντες ἐπιλανθάνοντα.
« Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose, distinguant leur nature et disant comme ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils ont fait en dormant. »
(Fragment 1, Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens, VII, 133)
Cosmologie
Johannes Moreelse, Héraclite, XVIIe siècle
Le feu est le principe de toutes choses. Il est la réalité du mouvement, et l'état premier et dernier du cosmos à travers ses cycles :
κόσμον (τόνδε), τὸν αὐτὸν ἁπάντων, οὔτε τις θεῶν, οὔτε ἀνθρώπων ἐποίησεν, ἀλλ' ἦν ἀεὶ καὶ ἔστιν καὶ ἔσται πῦρ ἀείζωον, ἁπτόμενον μέτρα καὶ ἀποσϐεννύμενον μέτρα.
« Ce monde a toujours été et il est et il sera un feu toujours vivant, s'alimentant avec mesure et s'éteignant avec mesure. »
(Fragment 30, Clément d'Alexandrie, Stromates, V, 105)
Ce feu est une loi à laquelle on ne peut échapper : « Qui se cachera du feu qui ne se couche pas ? »[22]
Ce feu se transforme en se raréfiant ou en devenant plus dense, suivant des fluctuations périodiques qui suivent le destin. Ainsi le monde est-il éternel, mais crée et détruit selon un retour éternel. Cette partie de sa cosmogonie se retrouvera chez les Stoïciens. Ce feu est aussi le logos universel, la raison commune à tous dont l'harmonie est le résultat des tensions et des oppositions qui constituent la réalité. Le devenir lui-même s'explique ainsi pour lui par la transformation des choses en leur contraire et par la lutte des éléments opposés. Cette connaissance du logos est pour lui toute la sagesse.
Ces thèses seront combattues par presque tous les philosophes dogmatiques, car elles nient le principe d'identité et abolissent le raisonnement purement logique. Platon reprend par exemple la thèse héraclitéenne d'un flux perpétuel, mais y ajoute sa théorie des Idées.
Bibliographie [modifier]
Fragments et témoignages [modifier]
* Die Fragmente der Vorsokratiker, éd. Diels H., Kranz W., 3 vol., 10e éd., Berlin, Weidmann, 1960-1961. Texte grec.
* Les penseurs grecs avant Socrate de Thalès de Milet à Prodicos, présentation et choix d'extraits par Jean Voilquin, Paris, Garnier Frères, 1964, rééd. GF-Flammarion. Vieilli.
* Jean-Paul Dumont (dir.), Daniel Delattre, Jean-Louis Poirier, Les Présocratiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988
* Jean-Paul Dumont, Les Écoles présocratiques, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1991.
* Texte grec et trad. Tannery 1887 en ligne [1]
* Linda Rasoamanana, Eclats d'horizon : 150 fragments d'Héraclite d'Ephèse (Préface d'Yves Battistini, édition bilingue), Nantes, Amalthée, coll. "Philosophie", 2007 (ISBN 978-2-35027-598-7).
* Héraclite, Fragments, (trad. et notes Jean-François Pradeau), Flammarion, GF, coll. « Poche / essai », 2002.
* Héraclite – Fragments (trad. Marcel Conche), PUF, coll. « Épiméthée », Paris, 1986 (4e éd. 1998), 2005 (2e tirage), (ISBN 2130440037).
* Héraclite, Fragments (trad. et notes Frédéric Roussille), Findakly, 1994.
* Héraclite. Les fragments d'Héraclite (trad. et commentaires Roger Munier), Fata Morgana, coll. « Les Immémoriaux », 1991.
TEXTE DE NIETZSCHE
Ce portrait d'Heraclite est extrait de « La philosophie à l'époque tragique de la Grèce », l'un des premiers ouvrages de Nietzsche, écrit en 1873, mais publié après sa mort (il n'a pas été traduit en français). Parce qu'Heraclite a vu la loi dans le combat des éléments multiples, dans le feu le jeu innocent de l'univers, il devait apparaître à Nietzsche comme son double, comme un être dont il a été lui-même une ombre. Si Heraclite « a levé le rideau sur le plus grand de tous les spectacles » — le jeu du temps destructeur — il s'agit du spectacle même qui est devenu la contemplation et la passion de Nietzsche, au cours duquel devait lui apparaître la vision chargée d'effroi de l'éternel retour. « Chaque instant n'existe que dans la mesure où il a exterminé l'instant présent, son père. ». « L'inconstance totale de tout réel est une représentation terrible et bouleversante : son action est analogue à l'impression de celui qui dans un tremblement de terre perd confiance en la terre ferme ». Le plus grand de tous les spectacles, la plus grande de toutes les fêtes est la mort de Dieu, « Est-ce que nous ne tombons pas sans cesse? en arrière? de côté, en avant, de tous les côtés? » Ainsi criera plus tard Nietzsche quand il éprouvera le ravissement qu'il a appelé la « mort de Dieu » (Gai Savoir, § 125). Loin au delà des casernes fascistes...
Heraclite était fier : et quand un philosophe en arrive à la fierté, c'est une grande fierté. Son action ne le porte jamais à rechercher un « public », l'applaudissement des masses ou le chœur adulateur des contemporains. S'en aller solitaire par les rues appartient à la nature du philosophe. Ses dons sont des plus rares, et dans un sens, contrenature, exclusifs et hostiles même à l'égard des dons semblables. Le mur de la satisfaction de soi-même doit être de diamant, pour ne pas rompre ni se briser, car tout est en mouvement contre lui. Son voyage vers l'immortalité est plus semé d'obstacles et d'entraves qu'aucun autre; et pourtant nul ne peut croire plus sûrement que le philosophe qu'il arrivera au but par cette voie — il ne saurait où se tenir sinon sur les ailes déployées de tous les temps; la non-considération des choses présentes et instantanées composant l'essence de la grande nature philosophique. Lui a la vérité : libre à la roue du temps de tourner dans l'un ou l'autre sens : jamais elle n'échappera à la vérité. Il importe d'apprendre que de pareils hommes ont vécu une fois. Jamais l'on n'oserait imaginer la fierté d'Heraclite comme une possibilité oiseuse. Tout effort vers la connaissance paraît, de par sa nature, éternellement insatisfait et insatisfaisant. Aussi nul ne voudra croire s'il n'est renseigné par l'histoire, à la réalité d'une opinion de soi aussi royale que celle que confère la conviction d'être l'unique et heureux prétendant de la Vérité. De pareils hommes vivent dans leur propre système solaire : c'est là qu'il faut aller les trouver. Un Pythagore, un Empédocle, traitaient leur propre personne avec une surhumaine estime, avec une crainte quasi religieuse; mais le lien de la compassion noué à la grande conviction de la migration des âmes et de l'unité de tout ce qui est vivant, les ramenait aux autres hommes, pour le salut de ces derniers. Quant au sentiment de solitude dont était pénétré l'ermite éphésien du temple d'Artemis, on n'en saurait éprouver quelque chose qu'au milieu des sites alpestres les plus désolés. Nul sentiment de toute puissante pitié, nul désir de venir en aide, de guérir ou de sauver n'émane de lui. C'est un astre sans atmosphère. Son œil, dont l'ardeur est toute dirigée vers l'intérieur, n'a qu'un regard éteint et glacial, et comme de pure apparence, pour le dehors. Tout autour de lui les vagues de la folie et de la perversité battent la forteresse de sa fierté : il s'en détourne avec dégoût. Mais de leur côté les hommes au cœur sensible évitent une pareille larve comme coulée de bronze; dans un sanctuaire reculé, parmi les images des dieux, à l'ombre d'une architecture froide, calme et ineffable, l'existence d'un pareil être se conçoit encore. Parmi les hommes, Heraclite, en tant qu'homme, était inconcevable; et s'il est vrai qu'on a pu le voir observant attentivement le jeu d'enfants bruyants, il est vrai aussi que ce faisant il a songé à quelque chose à quoi nul homme ne songe en pareil cas : au jeu du grand entant universel, Zeus. Il n'avait point besoin des autres hommes, pas même pour ses connaissances; il ne tenait point à leur poser toutes les questions que l'on peut leur poser, ni celles que les sages s'étaient efforcés de poser avant lui. Il parlait avec mépris de ces hommes interrogateurs, accumulateurs, bref, de ces hommes « historiques ». « C'est moi-même que je cherchais et explorais », disait-il en se servant d'un terme qui définit l'approfondissement d'un oracle : tout comme s'il eût été le véritable et l'unique exécuteur de la sentence delphique : « Connais-toi toi-même! »
Quant à ce qu'il percevait dans cet oracle, il le tenait pour la sagesse immortelle et éternellement digne d'interprétation, d'un effet illimité dans le lointain avenir, à l'exemple des discours prophétiques de la Sibylle. Il y en a suffisamment pour l'humanité la plus tard venue : pourvu qu'elle veuille seulement interpréter comme une sentence d'oracle ce que lui « n'exprime ni ne cache » tel le dieu delphique. Et encore qu'il l'annonce « sans sourire, sans ornement ni parfum » mais bien plutôt avec « une bouche écumante », il faut que cela parvienne jusqu'aux millénaires de l'avenir. Car le monde a éternellement besoin de la vérité, il a donc éternellement besoin d'Heraclite : quoiqu'Héraclite n'en ait point besoin lui-même. Que lui importe sa gloire?
La gloire chez « les mortels qui sans cesse s'écoulent! » s'est-il écrié avec ironie. Sa gloire intéresse sans doute les humains, elle ne l'intéresse pas lui-même; l'immortalité des humains a besoin de lui, et non pas lui-même de l'immortalité de l'homme Heraclite. Ce qu'il a vu, la doctrine de la loi dans le devenir et du jeu dans la nécessité, doit dès maintenant être vu éternellement : il a levé le rideau sur le plus grand de tous les spectacles
Etudes
(par ordre alphabétique)
* Kostas Axelos, Héraclite et la philosophie : la Première Saisie de l'être en devenir de la totalité, Minuit, coll. « Arguments », 1992.
* Jean-Pierre Bernard, L'Univers d'Héraclite, Belin, 2000 (ISBN 2701120551).
* Jean Lévêque, La Trilogie, Parménide, Héraclite, Gorgias, Paris, Osiris, 1994.
* Jean Lévêque, Le Retrait et la Nuit dans la Tradition philosophique, Paris, Osiris, 1994.
* Jean Bollack, Heinz Wismann, Héraclite ou la séparation, Minuit, coll. « Le Sens Commun », 1995.
* Jean Bouchart d'Orval, Héraclite : la lumière de l'obscur, éditions du Relie, coll. « Prétextes », 1997.
* René Char, Fureur et mystère, "Partage Formel", notamm. IX (p.67) et XVII (p.69), NRF Poésie/Gallimard
* Martin Heidegger et Eugen Fink, Héraclite, Gallimard.
* Joukovsky Françoise, Le Feu et le Fleuve : Héraclite et la Renaissance française, Droz, coll. « Travaux d'humanisme et Renaissance », 1991.
* Friedrich Nietzsche, La philosophie à l'époque tragique des Grecs, chapitres 5 à 9, Gallimard
* Clémence Ramnoux, Héraclite, l'homme entre les choses et les mots, 1958.
* Eduard Zeller, La philosophie des Grecs (1844-1852), vol. I et II, trad. Émile Boutroux, Paris, 1882 Lire en ligne le tome 2 sur Gallica
Date de création : 20/12/2009 • 15:37
Dernière modification : 20/12/2009 • 16:13
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