Et depuis ce temps-là, deux importants courants spirituels dominent : le bouddhisme Mahayana (le grand véhicule), et le bouddhisme Hinayana (le petit véhicule). Le premier est accessible à qui conque, le deuxième n'est ouvert qu'aux moines.

RÉFORMES Au deuxième siècle, le Mahavana se ramifia. Ce bouddhisme se réduisait à des rituels et des concepts définitifs. En réaction se forma un mouvement intitulé Sunyavada d'après le fondement même de sa doctrine : l'unique Vérité à la portée de l'être humain est la notion de « vide » (sunya). Il constitua une importante source d'inspiration du bouddhisme Zen. Ce fut le philosophe hindou Nagarjuna qui, brisant le caractère dogmatique du Mahavana, fit croître l'idée du « vide » de l'existence personnelle.
La Vérité absolue, déclare-t-il,
est de saisir que la vérité que nous percevons
n'est qu'un voile cachant, en fait, que tout est « vide »,
dépourvu d'existence ou de substance, et donc totalement illusoire.
Une telle idée mène au nirvana, car elle étouffe le désir de vie ou de non-vie.
« Tout est possible à celui pour qui le vide est possible ; niais rien à qui cela est impossible. » conclut Nagarjuna.
LE ZEN Au cinquième siècle le moine Bodhidharma propagea cet enseignement en Chine, où se découvrit sa grande affinité avec le pur enseignement du Tao, et ces courants se propagèrent largement. Sous la notion de « Dhyâna » (mot sanscrit pour « attention ») cet enseignement, en Chine, s'altéra sous le nom de « Ch'an » et plus tard au Japon, sous le nom de Zen.
LE ZA-ZEN Dans le Zen, l'élève pratique le Za-Zen : il médite pour vaincre l'influence contraignante des sens et des pensées. Le but de ses méditations est d'atteindre le calme et le silence intérieurs, un état où les motivations qui renforcent l'ego, l'identification à l'ego et donc la conscience de la dualité, sont paralysées. Tout cela est éliminé et l'élève parvient à l'état de conscience qui se nomme satori dans le Zen traditionnel et, dans le bouddhisme, Samâdhi. Etre « illuminé » c'est beau mais cet état ne peut jamais être un but en soi ; impossible d'y arriver par contrainte, ce ne serait alors qu'une activité de l'ego.
LE « KOAN » Le Zen connaît le paradoxe d'agir pour ne rien atteindre, tel est le « koan », le paradoxe du but à ne pas rechercher. Le maître dialogue avec l'élève en vue de son instruction. De façon systématique, il utilise la méthode du « Koan » pour mener l'élève jusqu'à la limite extrême de ses pensées afin de le préparer à l'intuition. Ouvertement ou secrètement, il poursuit un but, or celui-ci est impossible à atteindre (satori). On ne peut s'approprier l'essence du Zen. Il en résulte que les techniques de méditation, en fait, ne sont pas nécessaires.
L'humour et l'ironie envers le « moi »
sont des moyens de relativiser ce que
l'on a l'illusion d'avoir atteint intérieurement.
« Le recto est comme le verso ! » Les deux importants « koan » sont le « Mumonkan » (La Porte sans Porte) et le « Hekiganroku » : les histoires des Roches bleues contées par les instructeurs Zen des premiers siècles du « Ch'an », agrémentées de commentaires et de poèmes plus tardifs.
L'ILLUMINATION « Un jour, Huai fang aperçut son élève Matsoe perdu dans ses méditations. Il le questionna sur le but de cette pratique. Matsoe répondit immédiatement : « Je veux devenir un bouddha. » Huai Jang dit rien mais s'empara tranquillement d'une tuile et commença à la polir contre une roche. Matsoe, curieux, lui demanda : « Pourquoi frottes-tu cette tuile contre cette roche ? » Huai Jan répondit : « je veux la polir pour en faire un miroir. » Matsoe s'exclama : « Comment veux-tu faire un miroir en ponçant une tuile contre une pierre ? » Sur ce, Huai-jan déclara : « Comment veux-tu trouver l'illumination en restant assis à méditer ? »
Comme le Zen se déployait en Chine quelques mouvements opposés surgirent qui aboutirent au Ch'an du nord et Ch'an du sud. Le courant du nord fut représenté par les maîtres Shen-siu et P'oe-chi. qui pratiquaient le dhvana classique : l'acquisition progressive de la compréhension. L'école du sud (Hui-neng et Shen-hui) partait de l'idée d'illumination spontanée :
« La méditation ne fait de personne un bouddha, il faut en avoir l'essence. La reconnaissance d'être délivré au plus profond de soi peut faire en sorte que, directement, en un instant, la pensée horizontale renonce à son emprise sur la conscience. La tâche de l'instructeur est de déraciner les pensées qui subjuguent l'élève. »
LE ZEN AU JAPON Dans la longue histoire du Zen au Japon, le maître le plus important du « koan » est le légendaire Hakuin (1686-1769). Il fit revivre la tradition du « koan » qui menaçait de s'éteindre dans la civilisation décadente. « Quel bruit fait le claquement des mains ? » est l'une de ses questions. Il formula les trois fondements du Zen ainsi :
* une profonde confiance,
* un grand scepticisme.
* un engagement sans limite.
Pour lui, il ne faut pas séparer la méditation des activités quotidiennes :
« Si quelqu'un. par malchance, laisse tomber deux ou trois pièces d'or dans une rue pleine de monde, oublie-t-il l'argent parce que tous les yeux se tournent vers lui ? Quelqu'un qui se tourne vers la méditation au milieu de l'agitation et des soucis quotidiens est comme celui qui laisse tomber des pièces d'or et s'occupe à les retrouver. »
A la question : « Qu'est-ce que la véritable méditation ? » il répond : « C'est tout : avaler, tousser, agiter les bras, bouger, rester tran-quille, agir, faire le bien et le mal, réussir et faire scandale, gagner et perdre, être juste et injuste, et faire du tout un seul koan.» (1)
« La grande voie n'est pas difficile pour qui n'a pas de préférences.»
Quand, ensemble, amour et haine sont présents, tout s'éclaire et se dévoile.
Si cependant tu fais la plus intime distinction, le ciel et la terre s'écartent infiniment l'un de l'autre. Si tu veux voir la Vérité, ne sois en rien « pour ou contre ». Faire la comparaison entre ce qui te plaît et ce qui te déplaît n'est qu'une maladie de l'esprit. Tant que tu ne comprends pas la profonde signification des choses, forcément, ton esprit et ton coeur s'irritent inutilement. La voie est parfaite si rien ne rompt ou ne surcharge l'espace intérieur infini. En réalité, parce que nous sommes toujours en train d'accepter ceci et de rejeter cela, nous ne voyons pas la véritable nature des choses. Nous ne vivons pas selon l'unique voie et cela par manque d'activité comme de passivité, par manque d'orientation extérieure comme de détachement.
Si tu ignores la réalité des choses, tu échappes à ta réalité.
Si tu insistes sur la superficialité des choses, tu échappes à ta véritable existence.
Plus tu parles de la Vérité et plus tu y penses, plus tu t'en écartes.
Cesse de parler et de penser, et rien ne te sera incompréhensible.
Se retourner vers les fondements signifie découvrir le sens profond, mais aspirer à l'apparence superficielle interdit de voir la source.
Ne cherche pas la Vérité, et ne t'en tiens qu'aux opinions certaines. Si aucune pensée critique ne survient, l'ancien esprit continue à exister. Si tu ne fais aucune distinction entre le grossier et le raffiné, tu ne deviens ni rigide ni plein de préjugés.
Vivre suivant la grande voie n'est pas difficile. Mais ne regarde pas trop loin, sinon tu seras pris d'angoisse et d'incertitude : plus tu te hâteras, plus lentement tu avanceras. L'attachement ne se limite pas à un seul domaine ; et même si tu t'attaches à l'idée d'illumination, tu te retrouveras sur la mauvaise voie. Adapte-toi à la nature des choses et tu pourras agir en toute liberté et tranquillité. Si tes pensées ne sont pas libres, la Vérité reste cachée, tout est infecté et perturbé.
L'habitude accablante de tout critiquer engendre irritation et épuisement.
Quel intérêt y a-t-il à faire des difficultés et à s'en tenir à des préjugés ?
Si tu veux parcourir l'unique voie, ne rejette même pas le monde des sens et des idées.
Oui, cette totale acceptation de toutes choses est semblable à la vraie illumination.
Le sage ne poursuit rien, mais le fou se met lui-même dans les chaînes.
Il n'y a qu'un seul dharma, non plusieurs ; les sots désirs sont cause de discrimination.
Chercher l'Esprit en étant plein de préjugés est la plus grande des fautes. Tranquillité et perturbation proviennent de l'illusion ; l'illumination ne connaît ni préférences ni aversion.
Toutes les choses prétendues contraires proviennent de fausses conclusions.
Celles-ci sont comme des fleurs imaginaires flottant dans l'air : c'est folie de vouloir les attraper. Gagner et perdre, le bien et le mal : rejetez définitivement ces conceptions.
Si l'œil jamais ne se ferme, tous les rêves disparaissent.
Si l'esprit ne fait aucune discrimination, les dix mille choses sontpour toi comme elles sont : elles proviennent toutes du même fondement.
Si tu comprends dans son essence le mystère de cette communauté, tu te libères de toute confusion.
Si tu étudies le mouvement dans le calme, et le calme dans le mouvement, le calme et le mouvement disparaissent ; et lorsque ces extrêmes disparaissent, il n'existe même plus d'unité.
Et aucune loi ni description n'existent pour l'application de cette suprême Vérité. Au regard de l'esprit omniprésent en accord avec la voie, tout effort égocentrique disparaît. Hésitations et doutes disparaissent laissant la place à une vie pleine de confiance. D'un seul bond nous sommes libérés de notre emprisonnement ; rien ne nous retient plus et nous ne nous cramponnons plus à rien.
Tout est vide, clair, évident, si nous ne laissons plus notre intellect s'emparer de tout ; autrement. nos pensées et nos sentiments, notre savoir et notre imagination intuitive ne nous parlent plus. Dans ce monde de « être pur et simple » il n'y a plus ni « moi » ni rien d'autre que le « soi ». Pour t'accorder directement à cette réalité si tu sens venir le doute, dis simplement :
« Il n'existe pas deux choses, » c'est-à-dire, ne
fais ni distinctiont ni exclusion.
Peu importe lieu et
temps, l'illumination
signifie que tu pénètres la Vérité»
Et celle-ci ne peut devenir ni plus grande ni plus petite dans le temps ou l'espace ; dans la Vérité, une seule pensée dure des milliers d'années.
Vide ici, vide là, et pourtant l'univers infini est toujours visible autour de toi.
L'infiniment grand et l'infiniment petit ne font aucune différence, les définitions ont disparu et nulle part il n'y a de limite.
De même entre être et non-être.
Ne gaspille pas ton temps à douter et à raisonner,
cela n'a rien à voir ici.
D'une seule chose ou de toutes choses, ne te tiens pas séparé, vie en plein milieu, sans discrimination. Si tu as conscience de tout cela, ne te fais aucun souci des imperfections.
Vivre selon cette croyance est la voie
menant à l'unité, car ne pas faire de distinction revient à vivre en unité avec l'Esprit qui se livre à nous.
DES MOTS ! Or la voie ne peut s'exprimer par la parole, elle ne connaît ni hier, ni présent, ni demain. »
I. Hsin hsin ming, Sosan Zenji ( ?-606),Chine,
troisième patriache Zen
2. Traduction en néerlandais de Lucy Kooman d'après Dennis Genpo Merzel
* Présentation du groupe "Elévations" - S'abonner