Le décalage entre les Lumières et les Illuministes
Un déplacement conceptuel s’effectue, Dieu n’est plus au centre du Monde et de ses préoccupations, c’est l’Homme social qui occupe la place , du fait de la religion faillitaire. Et ici, sur ce point particulier, nous voyons dans l'illuminisme tous les fervents des doctrines hermétiques rejetées par les églises pour causes d'hérésie se réunir dans un creuset commun qu'est la Franc-Maçonnerie spéculative naissante, tolérante, humaniste et surtout accueillant les Grands de ce Monde, protecteurs éventuels et tout à la fois, mécènes et adeptes des sciences dites maudites depuis le Moyen Age.
L’incorporation de l’Art Royal dans la maçonnerie est donc plus la résultante d’un fait sociétal que la marque d’une volonté de la part de la Maçonnerie de préserver l’Antique Tradition Mystique et Occultiste.
« La structure de ces Sociétés secrètes présente des analogies frappantes avec les milieux religieux du dix-huitième siècle même. Particulièrement avec le Piétisme allemand. La «catéchisation» piétiste ressemble aux différents degrés du symbolisme maçonnique, si bien que les «collegia pietatis» furent en quelque sorte les prédécesseurs des Loges spéculatives, à cette différence près que le goût de la science et du monde ne caractérisait pas les plus fermés des groupes piétistes ».
« La Franc-Maçonnerie, qui prit le relais des conventicules religieux, n'était elle-même que le plus grand de ces creusets où s'assemblaient les hommes, car depuis le début du siècle on voyait proliférer les associations: sociétés religieuses, scientifiques, morales ou de bienfaisance, etc. Comment séparer la multiplicité des Loges, du goût de la fraternité propre au «Sturm und Drang», des petits cénacles, des cercles aristocratiques ? Julie Bondeli, Mme de Staël ou la duchesse de Bourbon voient défiler pèle -mêle , dans leur salon, plus d'un philosophe et plus d'un Franc-Maçon ».
« Ce désir de s'instruire en se réunissant, de confronter ses opinions au sein d'une société fraternelle, participe autant des «Lumières» que de l'Illuminisme, qui ont pour dénominateur commun une soif de connaissance universelle et l'exaltation des possibilités de l'homme. Il s'agit de trouver une clef procurant le savoir et la science suprêmes. Simplement, encyclopédistes et théosophes emploient des méthodes différentes. » Alec Mellor.
Pourquoi ?
Le grand projet encyclopédiste prend sa source dans l’aristotélisme antique (les catégoria) et médieval (le Thomisme, la scolastique et ses arts libéraux).
L’esprit rationaliste qui en naquit devait inéluctablement mener à une vision du monde linéaire , horizontale, sans dynamique propre, la métaphysique seule, par l’entremise de Kant, pouvait faire sortir les esprits de ce désert spirituel, à l’opposé l’illuminisme issu des courants gnostiques, néo-platoniciens et pythagoriciens, enrichis du piétisme et quiétisme se donnait une identité nouvelle : celle de la « Méta-Psychique ».
A l’esprit de classification horizontale qu’exige la rigueur scientifique ,s’oppose la méthode analogique verticale et les Lois de correspondance de l'esprit théosophique (l’Homme est fait à l’image de Dieu).
Deux modes de perception de Dieu, de l’Homme et de la Nature vont séparer les Illuministes des Encyclopédistes.
D’Ekartshausen fait bien ce distingo :
« On dit que nous vivons dans le siècle des lumières, il serait plus juste de dire que nous vivons dans le siècle du crépuscule : çà et là, le rayon lumineux pénètre à travers la nuée des ténèbres, mais il n'éclaire pas encore, dans toute sa pureté, notre raison et notre coeur. Les hommes ne sont pas d'accord sur leurs conceptions ; les savants se disputent ; et, là où il y a dispute, il n'y a pas encore de vérité ». (« La nuée sur le sanctuaire » de D’Ekartshausen, :première lettre, Paris, Edition Psyché)