La souffrance du monde
Je te vois encore à la gare. Il faisait froid et nous attendions tous deux notre train.
Pendant notre conversation tes yeux se portaient de ci, de là.
En toi je voyais l'angoisse, sous ton bonnet de laine je percevais comment le destin te frappait. Je portais, moi aussi, mon héritage différent du tien.
Dois-je te le raconter ?
Le supporteras-tu si je te l'expose en face ? Comme flamme de lumière, souvent j'ai été envoyé dans ce monde de ténèbres en pleine fermentation. Missionné par les anciens, je venais pour servir le seul Dieu, qui est amour. J'ai connu beaucoup d'écoles des Mystères, mon âme a expérimenté les lois cosmiques du changement, et les a soumises à l'Esprit éternel.
Combien de fois suis-je mort afin de renaître à la vérité, je ne le sais plus.
Admirable, le cercle du christianisme originel où j'ai appris à porter la coupe contenant le joyau merveilleux. Je ne sais, c'est juste une intuition, mais je me sentais toujours lié à la force qui, alors, traversait les ténèbres de sa douce lumière, et attirait des milliers de gens, jusqu'au jour où la puissance ténébreuse et ses suppôts nous en ont séparés.
Volant les symboles, détournant leur éclat, effaçant la piste par où trouver la Vie. ils y substituèrent des dogmes morts. Depuis, le porteur de lumière est toujours poursuivi, et toujours les poursuivants cherchent à dérober la Lumière.
Lors de mes voyages sur terre aux lieux des Mystères, je suis allé en Perse où j'ai trouvé Mani qui rétablit les Mystères christiques. Mani, le jardinier qui reconstitua le jardin des roses, m'accepta dans son cercle.
L'Esprit septuple du Paraclet nous traversait de ses rayonnements et nous revêtait d'un lumineux éclat. Nous avons été libérés nous aussi après l'affreuse mort de Mani : la horde noire se rua sur la plupart d'entre nous pour nous massacrer. Ainsi commença, durant un grand nombre de siècles, le travail secret en faveur de la Lumière, en des lieux cachés et sous des appellations toujours différentes.
Au nom de Christ, nous prenions soin de préserver 
toujours le joyau dans la coupe de cristal.
Tout comme toi, mon héritage microcosmique est situé
derrière une porte scellée. Si celle-ci s'ouvre,
seras saisi d'horreur sur les souffrances infinies
que les poursuivants ont infligées aux poursuivis :
suite, tortures à mort. Que cette porte se ferme,
ouvrons en une autre mais juste entrebâillée : en-tends-tu les chants de victoire montant des coeurs sans nombre, et retentissant dans toutes les sphères du cosmos, jusque dans les mystères les plus intérieurs ?
En entends-tu dans ton coeur, frère, ne serait-ce qu'un faible écho ? Cela témoignerait que vibre quelque chose en toi. Sans cet hymne glorieux des frères et soeurs, serviteurs de la Lumière de l'amour, nous sommes perdus. Le doute contrarie chaque fois ceux qui portent dans le monde le joyau dans la coupe et sa Lumière, espérant que ce n'est pas en vain.
Vois, frère, je t'ai dit que les poursuivants dérobaient aux poursuivis la croix de Lumière cosmique, et détruisaient le pont érigé entre l'abîme et la Lumière. Ce soir d'hiver, à la gare, j'ai vu ton angoisse intérieure, l'angoisse de ce destin contraire des poursuivants et des poursuivis, les porteurs de Lumière.
Et moi, jadis poursuivi, je souffre avec toi.
Tirons-nous de là ensemble.
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