Le Zen contemporain semble se focaliser sur deux pratiques quasi exclusives, soit le Shikantaza de l’école Soto et la contemplation des koans de l’école Rinzai. Pourtant ces deux méthodes n’ont été formalisées qu’au 12ème siècle. Si l’école Rinzai comporte un impressionnant cursus de koans, le grand Lin-chi [Rinzai] n’a très certainement jamais contemplé un seul houa-t’ou.
Les maîtres anciens pratiquaient vraisemblablement un nombre assez varié de méthodes, en particulier celles du Petit Véhicule (anapanasati, shamatha-vipashyana), mais avec la vue du Grand Véhicule. Toutefois, du 8ème au 12ème siècle, l’école subite de Hui-neng et ses diverses branches se sont systématiquement référées à la non-pratique de la non-pensée (wu-nien). Cette non-méthode semble échapper aux chercheurs et historiens du bouddhisme chinois qui y voient un peu tout et n’importe quoi. La grande majorité des « maîtres » Zen contemporain considère que la non-pensée est l’aboutissement de shikantaza ou de l’investigation des koans.
Il n'en est rien. Il s'agit d'une pratique subite qui s'apparente au Maha Chi-Kuan de Chih-I, au Mahamudra ou à la pratique de Trekchö du Dzogchen. Elle a aussi le mérite de nous éclairer sur le Shikantaza de Dogen (« penser à la non-pensée »). Toutefois, elle n’est aucunement limitée à la posture assise. Elle doit d’ailleurs s’étendre à toutes les activités de la vie quotidienne, dans le calme et dans le mouvement. Idéalement, elle doit même se poursuivre à travers les rêves et le sommeil profond.
Aussi mes amis, pour vous faire partager cette pratique essentielle du Ch’an, je me suis permis de traduire deux paragraphes de l’ouvrage « L’Essentiel de la Pratique et de l’Eveil pour les Novices » du célèbre maître chinois Han Shan Te'-Ch'ing [1546-1623]:
« Pour s’engager dans la pratique vous devez d’abord séparer la connaissance de la compréhension et consacrer tous vos efforts à une seule pensée. Vous devez avoir la ferme conviction que votre Esprit est originellement pur et clair, sans le moindre lien – il est parfait, lumineux et empli le Dharmadhatu. Intrinsèquement, il n’y a pas de corps, d’esprit ou de monde extérieur. Il n’y a pas non plus de pensées ou d’émotions. A cet instant même, cette pensée-même est non-née ! Tout ce qui se manifeste devant vous maintenant est illusoire et insubstantiel -ce n’est qu’une réflexion projetée par l’Esprit. Travaillez de cette manière pour réduire en miettes toutes vos autres pensées. Vous devez fixer votre attention sur le lieu d’où naissent et meurent les pensées. Si vous pratiquez de la sorte, quelque que soit le type de pensées illusoires qui émergent à la conscience, un seul regard et elles seront réduites en pièces. Tout sera dissout avant de disparaitre. Vous ne devez jamais suivre ou laisser s’enchaîner les pensées illusoires. Maître Yongjia insistait : « Il faut trancher le désir de continué du mental ». Ceci, parce que l’esprit illusoire est originellement sans racines. Vous ne devez jamais considérer qu’une pensée est réelle et vous y attacher. Dès qu’elle émerge, prenez immédiatement conscience de son apparition. Dès que vous l’aurez remarquée, elle disparaitra d’elle-même. N’essayez jamais de bloquer les pensées, mais voyez les flotter comme une courge sur l’eau.
Laissez de côté votre corps, votre esprit et le monde et utilisez cette seule pensée [méthode] comme une épée qui transperce l’espace. Si un Bouddha ou un Mara apparaît, tranchez le comme une pelote emmêlée de fil de soie. Mobilisez patiemment tous vos efforts et votre force pour pousser votre esprit à l’extrême limite. Ce qui l’on entend par « un esprit qui maintient la pensée correcte de la véritable ainséité » signifie qu’une pensée correcte est non-pensée. Si vous êtes capables de penser à la non-pensée, vous vous orientez déjà vers la sagesse des Bouddhas».
Sources : http://videinsondable.blogspot.com/2009/04/pratique-de-la-non-pensee-wou-nien.html