Relativité d'échelle et cosmologie
Laurent Nottale
CNRS
DAEC, Observatoire de Paris-Meudon
F-92195 Meudon Cedex, France
Mars 1998.
Paru dans: Ciel et Terre, Bulletin de la Société Royale Belge d'Astronomie vol. 114
(2), 63-71 (1998).
Introduction
La relativité d’échelle est une tentative de généralisation du principe de relativité
d’Einstein (dont le champ d’application essentiel concernait jusqu’à maintenant les lois
du mouvement) aux lois d’échelle caractérisant les résolutions spatio-temporelles.
Le principe de relativité stipule que les lois de la nature doivent être valides quel
que soit l’état du système de référence. Les différentes théories de la relativité qui ont
été construites sur ce principe, depuis Galilée, correspondent à des généralisations
successives des transformations admises entre systèmes de coordonnées spatiotemporelles.
Pour mettre en oeuvre ce principe, il faut être capable de définir
explicitement ce qu’est un système de coordonnées: or il s’avère que les différentes
grandeurs qui caractérisent son “état” (son origine, l’orientation de ses axes, sa vitesse,
son accélération...) ne peuvent jamais être définies de manière absolue: seule la position
d’une origine relativement à un autre système, la vitesse d’un référentiel relativement à
un autre référentiel, ont un sens physique.
En ce sens, on peut dire que la relativité commence avec Copernic, qui nous a fait
comprendre le premier que la Terre n’occupait aucune position privilégiée dans l’espace,
et que tous les choix possibles d’origine devaient être équivalents pour l’expression des
lois de la physique. Bien sûr, Copernic n’a pas pour autant construit une théorie de la
relativité: en effet la relativité, ce n’est pas seulement analyser le caractère relatif de
certaines grandeurs physiques, mais c’est surtout réaliser que ce fait intuitif, simple et
apparemment trivial (l’impossibilité d’une définition absolue des paramètres qui
caractérisent l’état des systèmes de coordonnées) est structurant pour les lois de la
physique. La relativité, c’est le contraire du “relativisme”.
Les théories de la relativité commencent vraiment avec la relativité des
mouvements rectilignes uniformes (inertiels) due à Galilée, (“le mouvement est comme
rien”); se développent avec Newton qui utilise cette compréhension nouvelle de l’inertie
pour unifier les mouvements terrestres et célestes et construire une gravitation
universelle (même si Newton est revenu à l'idée d'un espace absolu, il n'en a pas moins
utilisé la méthode de pensée relativiste pour réaliser que, par rapport à un référentiel
inertiel, la lune tombe vers la Terre); avec Poincaré et Einstein qui montrent que la
solution apportée par Galilée au problème des mouvements inertiels n’est qu’une
approximation valable seulement aux petites vitesses et fondent indépendamment la
relativité restreinte; et culminent avec la relativité généralisée d’Einstein, dans laquelle
c’est l’existence même de la gravitation qui est démontrée, et sa nature explicitée
comme manifestation de la courbure de l’espace-temps.
La question qui se pose évidemment à la lumière de cette évolution historique est
de savoir si la relativité est “complète”, ou en d’autres termes, si les grandeurs
essentielles qui peuvent caractériser l’état des systèmes de coordonnées (et leurs
transformations) ont toutes été prises en compte. Dans le domaine de la physique
classique, il semble que ce soit le cas. Mais qu’en est-il des domaines “frontière” que
sont les toutes petites échelles, régies par la physique quantique, et les très grandes
échelles, champ d'étude de la cosmologie ?
Relativité d'échelle
Dans ces deux domaines, les expériences et les observations démontrent que les
phénomènes physiques dépendent, d’une manière essentielle, non seulement de l’état de
mouvement des systèmes de références, mais également des résolutions spatiotemporelles
auxquelles les mesures sont faites. La théorie de la relativité d’échelle
consiste à prendre en compte ce nouveau comportement: elle se fonde pour celà sur le
caractère relatif des résolutions (seul un rapport de résolutions a un sens, jamais une
résolution absolue): on redéfinit ces résolutions comme caractérisant l’“état d’échelle”
du système de coordonnées, (de même que la vitesse en caractérise l’état de
mouvement), puis on exige que les équations de la physique gardent leur forme sous
leurs transformations (“covariance d'échelle”), c'est-à-dire sous les contractions et
dilatations des résolutions spatio-temporelles. En d’autres termes, il faut, dans un tel
cadre, rajouter aux lois du mouvement (décrites par des équations différentielles
correspondant à des déplacements spatiaux et temporels) de nouvelles lois d’échelle,
décrites par des équations différentielles qui correspondent cette fois à des changements
infinitésimaux de résolution en un même point de l’espace-temps.
Mais on est également amené d’une manière inévitable à une telle approche pour
des raisons théoriques. Le principe de relativité “général” d’Einstein ne l’est pas
complètement: il ne considère que les transformations continues et différentiables des
systèmes de coordonnées. On fait depuis Galilée et Newton l’hypothèse de la
différentiabilité de l’espace-temps (qui suppose qu’on peut définir la pente d’une
courbe): une telle hypothèse n’est en fait fondée sur aucune preuve théorique ou
expérimentale. Au contraire, Richard Feynman a montré à la fin des années 40 que les
trajectoires typiques des particules en mécanique quantique étaient continues mais nondifférentiables.
Or on peut démontrer que la longueur d’une courbe continue mais
nulle-part différentiable dépend explicitement de la résolution, et même tend vers l’infini
quand l’intervalle de résolution tend vers zéro: en d’autres termes, une telle courbe est
fractale (au sens très général initialement donné par Mandelbrot à ce terme). Ainsi la
levée de l’hypothèse de différentiabilité mène au concept d’un espace-temps de nature
fractale (montrant des structures à toutes les échelles), et la généralisation du principe de
relativité aux transformations non-différentiables va passer par l’intervention explicite
des résolutions dans les équations fondamentales de la physique.
Une première conséquence de cette théorie concerne notre compréhension de la
mécanique quantique: dans ce cadre, les comportements quantiques, souvent
paradoxaux, trouvent leur origine dans la non-différentiabilité et le caractère fractal de
l’espace-temps. Le caractère complexe de la fonction d’onde (au sens des nombres
complexes), d’où provient pour une grande part l’essentiel du comportement quantique;
le principe de correspondance, qui aux grandeurs classiques fait correspondre des
opérateurs différentiels; l’équation de Schrödinger et son interprétation statistique,
peuvent se démontrer à partir de telles prémisses.
Mais les conséquences du principe de relativité appliqué aux transformations
d’échelle ne s’arrêtent pas là: il conduit non seulement à comprendre la mécanique
quantique comme manifestation de la relativité des échelles dans la nature, mais surtout
à définir un cadre élargi où elle se trouve généralisée. En effet la mécanique quantique
standard est obtenue comme un cas extrêmement particulier (et dégénéré) du type de
lois qui satisfont au principe de relativité. En fait, les lois usuelles de contraction et de
dilatation des résolutions ont la structure mathématique du groupe de Galilée (en
représentation logarithmique). Mais on peut montrer que la solution générale au
"problème relativiste restreint" (trouver les lois de transformation linéaires qui satisfont
au principe de relativité) prend la forme du groupe de Lorentz. Ainsi les nouvelles lois
d'échelle ont le même statut par rapport aux anciennes lois que celui des lois du
mouvement lorentzien par rapport aux lois d'inertie galiléennes.
Dans la théorie galiléenne du mouvement, la vitesse peut devenir infinie, l’énergie
et l’impulsion tendent vers l’infini quand la vitesse croît indéfiniment. Par contre, en
relativité d’Einstein, la vitesse relative entre deux objets ne peut jamais dépasser une
certaine limite universelle, c, qui s’identifie à la vitesse de n’importe quelle particule de
masse nulle dans le vide (en particulier, celle de la lumière). L’énergie et l’impulsion
peuvent toujours croître indéfiniment, mais c’est maintenant quand la vitesse tend vers c
qu’elles tendent vers l’infini: la vitesse c joue en fait le rôle qui était dévolu à la vitesse
infinie dans la théorie galiléenne.
Dans les lois d’échelle usuelles, la résolution des mesures de longueur et de temps
est sensée pouvoir être diminuée indéfiniment jusqu’au point zéro. Les relations de
Heisenberg impliquent que l’impulsion et l’énergie nécessaires pour faire des mesures
avec une résolution qui diminue vers zéro doivent tendre vers l’infini.
Par contre, dans les lois de dilatation et de contraction de la relativité d’échelle, il
apparaît une échelle inférieure, limite, invariante sous les dilatations, qui joue ainsi pour
les lois d’échelle le même rôle que joue la vitesse de la lumière dans les lois du
mouvement. Cette échelle de longueur et de temps, qu’on peut identifier à l’échelle de
Planck (10–33 cm et 10–44 s) est indépassable vers les plus petites résolutions, au sens où
celles-ci n’existent plus. Il ne s’agit pas là d’un “mur”, d’un “cutoff” ou d’une
quantification: la nature de cette échelle se rapproche plus de celle d’un “horizon”,
conséquence de la forme nouvelle prise par la loi des contractions successives: 2 fois 3
ne font plus 6! (de la même manière que 2 + 2 ne fait plus 4 en relativité du
mouvement). L’échelle d’énergie-impulsion diverge maintenant quand les résolutions
tendent vers l’échelle de Planck, et non plus vers le point zéro.
Ce nouveau cadre permet de poser de manière renouvelée certains des problèmes
qui restaient ouverts en théorie quantique (et parfois de leur proposer des solutions), tels
celui des divergences (que la renormalisation n’avait réglé qu’en partie) ou celui de
l’origine et de la valeur des masses et des charges des particules élémentaires.
Conséquences pour l'Univers primordial
Mais l’un des domaines d’application de l’approche relativiste d’échelle est
l’univers primordial, et ceci pour plusieurs raisons convergentes: en raison des grandes
températures et énergies qu’elle implique dans les premiers instants, la théorie du Big
Bang avait déjà rapproché la théorie quantique et la cosmologie; l’expansion de
l’univers peut elle-même se décrire comme une loi d’échelle universelle (la dilatation au
cours du temps de toutes les interdistances entre galaxies); de plus la relativité d’échelle
apporte des corrections nouvelles importantes aux très petites échelles, aussi bien
spatiales que temporelles, qui sont justement l’appanage des “premiers instants”. En fait
c’est toute la théorie du big-bang qui demande à être reprise dans le nouveau cadre: un
tel travail reste à faire pour l’essentiel. Nous nous contenterons donc d’évoquer ici
brièvement les implications les plus directes des nouvelles lois de dilatation.
Le problème de l'origine
Une première conséquence concerne le problème de l’origine. Le point zéro,
aussi bien spatial que temporel, n’ayant plus de sens physique (plus d’existence!) dans le
cadre relativiste d’échelle, on ne saurait plus faire commencer l’expansion à partir d’un
certain instant t = 0. D’ailleurs la singularité posait un problème pour certain modèles
cosmologiques: par exemple, dans le modèle hyperbolique ouvert (celui qui semble
favorisé par les observations actuelles), l’univers est infini dans sa topologie la plus
simple, et ceci à tout instant t ≠ 0, aussi petit soit-il, alors que sa partie spatiale disparait
“d’un coup” à l’instant t = 0! En relativité d’échelle, l’expansion démarrerait
asymptotiquement de l’échelle de Planck, pour laquelle l’espace-temps est
complètement dégénéré (le temps de Planck est un “horizon”).

Fig. 1. Variation en fonction de l'échelle des trois "constantes" de couplage des champs d'interaction
électro-faible (1 et 2) et forte (3), entre l'échelle des bosons faibles (80 GeV) et l'échelle de Planck (1019
GeV). En relativité d'échelle, les échelles de longueur et de masse-énergie ne sont plus directement
inverses l'une de l'autre: l'échelle de Planck (en longueur) correspond maintenant à une énergie infinie.
La conséquence en est la convergence des quatre couplages, y compris le couplage gravitationnel, vers
l'énergie de Planck.
Mais il semble de toute façon prématuré de tenter d’appréhender cette période,
sachant que nous sommes sans doute très loin d’en comprendre les lois: l’échelle de
longueur et de temps de Planck correspond à l’ancien point zéro (à énergie et
température infinie), alors que bien avant cette époque l’énergie de Planck (1019 GeV)
sera atteinte, et que les lois de la physique doivent changer à partir de cette énergie:
dans la nouvelle théorie, c’est à l’énergie de Planck que convergent les quatres
“constantes” de couplage des interactions fondamentales (électro-faible, forte et
gravitationnelle, qui varient déjà en fonction de l'échelle dans le modèle standard actuel),
si bien qu’on s’attend à une unification globale à cette échelle (voir Fig.1). Mais il ne
“suffit” peut-être pas de construire une théorie de la “gravitation quantique” pour
appréhender ce domaine. En effet une telle tentative (qui n’a pas abouti à ce jour)
repose sur l’idée que la gravitation devrait être décrite par la théorie quantique des
champs quand effets quantiques et gravitationnels deviennent du même ordre. Mais s’il
ne fait aucun doute que la théorie actuelle de la gravitation devient insuffisante à
l’échelle d’énergie de Planck, on oublie souvent qu’il en est très probablement de même
de la théorie quantique elle-même ! Ce sont toutes nos théories physiques qui sont à
“remettre à zéro” à cette énergie, et nous sommes probablement encore très loin même
d’entrevoir ce que sera cette théorie unifiée.
Il faut ajouter à celà que, durant les tous premiers instants (aux énergies très
grandes devant les énergies de masse des particules), il n’y a plus d’échelle statique à
laquelle rapporter les intervalles de longueur et de temps: seuls gardent un sens les
rapports de dilatation et de contraction. En d’autre termes, parler d’époques telles que
10–30 s après la singularité ou de rayon d’univers de 10–25 cm n’a probablement plus
aucun sens physique.
Horizon et causalité
Un des problèmes pour lequel la relativité d’échelle propose une solution nouvelle
est celui de l’horizon et de la causalité. Rappelons son énoncé: si l’on observe le
rayonnement de corps noir cosmologique dans deux directions opposées du ciel, on
trouve que sa température (une fois corrigée de notre mouvement propre par rapport à
lui) est pratiquement la même, à environ 10–5 près. Or, en raison de l’existence de la
singularité initiale, les régions de l’univers d’où provient ce rayonnement n’ont jamais
pu être causalement reliées dans leur propre passé. Comment dans ces conditions
peuvent-elles montrer la même température ? La réponse qu’on apporte en général à ce
problème est que l’univers primordial aurait connu une phase d’inflation (c’est à dire
d’expansion exponentielle) qui aurait permis de connecter toutes les régions aujourd’hui
observées. Mais cette solution est à la fois ad hoc et partielle. Elle ne connecte entre elles
que les régions de l'Univers aujourd'hui observable, et ne serait plus valable dans un
avenir très lointain, sans compter qu'elle nécessite l'introduction d'un nouveau champ
d'interaction (et même de toute une gamme de champs), totalement inobservé et dont
rien par ailleurs ne vient confirmer l'existence.
En relativité d’échelle, le problème est automatiquement résolu, grâce aux
nouvelle lois “lorentziennes” de dilatation. Ces lois impliquent que n’importe quelle
distance, mesurée à la résolution de Planck, aurait la longueur de Planck! Un tel énoncé
peut sembler, au premier regard, extrêmement paradoxal, pour ne pas dire absurde. La
taille de cette page, le diamètre de la Terre, notre distance à la nébuleuse d'Andromède,
l'Univers lui-même se réduiraient (même aujourd'hui, pas seulement au cours du Big
Bang) à l'échelle de Planck! Mais une simple expérience de pensée montre qu'il en est
bien ainsi, sans contradiction aucune. Pour faire une mesure effective de n'importe
laquelle de ces longueurs à la résolution de Planck, il faut construire une règle dont les
graduations sont séparées par la longueur de Planck. Mais les relations de Heisenberg
généralisées dans le nouveau cadre énoncent qu'il faudrait une énergie-impulsion infinie
ne serait-ce que pour tracer de telles graduations, ou pour les comparer aux longueurs à
mesurer. Ou trouver une telle énergie ? Seul l'Univers dans son ensemble peut la fournir
(et encore, uniquement s'il est infini). Il faudrait, pour faire une telle mesure, injecter
l'ensemble de l'Univers dans l'échelle de Planck, ce qui se ramène finalement à l'énoncé
initial (qui traduit, bien sûr, en dernier recours, l'impossibilité de faire des mesures
explicites à la résolution de Planck).

Fig. 2. Evasement des cônes de lumière vers l'époque de Planck en relativité d'échelle restreinte. Dans
ce nouveau cadre, tous les points de l'Univers ont été connectés dans le passé .
Appliquée aux premiers instants, la nouvelle loi lorentzienne implique que tous les
points de l’univers se trouvent automatiquement connectés à l’époque de Planck. Les
cônes de lumière s'évasent en se rapprochant de cet instant, et se recoupent donc
toujours, quelle que soit la distance des points sur lesquels ils s'appuient, ce qui règle le
problème de causalité (voir Fig. 2).
Conséquences en cosmologie observationnelle
La relativité d'échelle n'a pas que des conséquences pour les premiers instants de
l'Univers. Elle permet de faire également des propositions nouvelles en ce qui concerne
certains problèmes ouverts de la cosmologie, concernant la description de l'Univers dans
son état actuel. Une question qui remonte aux débuts de la construction de la relativité
générale par Albert Einstein et dont les différents aspects ne sont toujours pas épuisés,
est celle du principe de Mach. Comme l'a montré Denis Sciama dans les années 50, une
manière de mettre en oeuvre ce principe consiste à écrire que l'univers est inclus dans
son propre rayon de trou noir.
Cette question est particulièrement intéressante pour la cosmologie, car son
éventuelle solution semble devoir mêler des thèmes essentiels pour la compréhension de
l'univers pris globalement, comme les problèmes de la densité d'énergie du vide et de la
constante cosmologique, ainsi que la coïncidence des grands nombres d'Eddington-
Dirac. Que ces questions restent ouvertes actuellement n'est pas totalement étonnant. Il
faut rappeler en effet que la relativité générale reste une théorie essentiellement locale
dans sa construction, et qu'elle est probablement incomplète en tant que théorie de
l'Univers pris dans son ensemble.
Echelle maximale et constante cosmologique
Un des principaux résultats de l'approche relativiste concerne l'universalité de la
transformation de Lorentz. L'application du principe de relativité aux lois de dilatation
vers les petites échelles mène à l'introduction d'une échelle minimale, invariante sous les
dilatations. Mais qu'en est-il si l'on applique les mêmes principes vers les très grandes
échelles, c'est-à-dire à la cosmologie. Un résultat similaire s'obtient alors: l'apparition
d'une échelle maximale, invariante sous les dilatations, horizon pour les résolutions
possibles dans la nature, et qui posséderait les propriétés physiques de l'infini de même
que l'échelle minimale possède celles du zéro. Là encore, il faut bien comprendre qu'il ne
s'agit en rien d'une barrière, d'une limite ou d'une finitude au sens ordinaire du terme: à
la question, peut-on considérer une échelle donnée, et la multiplier par 2, puis par 2, etc...
à l'infini, la réponse reste toujours oui. Par contre, c'est le résultat de ces multiplications
successives qui se trouve maintenant limité. Les deux premiers produits donneront un
peu moins que 4, le troisième moins que 8, etc... Il s'agit d'une limite pour les résolutions
possibles dans la nature, qui ne prend de sens que dans le nouveau cadre où celles-ci
sont devenues des variables explicites, intrinsèques à la nature de l'espace-temps,
redevenu fractal aux très grandes échelles.
S'il est naturel d'identifier l'échelle minimale avec l'échelle de longueur de Planck
lP, qu'en est-il de l'échelle maximale ? Existe-t'il déjà une échelle de longueur, fournie par
la théorie ou l'observation, et dont les propriétés pourraient être réinterprétées (et mieux
comprises) en terme de cette échelle maximale ?
La relativité générale d'Einstein fournit bien une échelle invariante dont le sens
n'est pas clair et qui a déjà fait couler beaucoup d'encre: c'est l'échelle de la constante
cosmologique. Cette constante a été introduite par Einstein en 1917 dans ses équations
du champ de gravitation, pour permettre des solutions cosmologiques statiques (en
accord avec les résultats d'observations stellaires de l'époque, qui se réduisaient à notre
propre galaxie, laquelle est globalement statique) qui satisfassent au principe de Mach.
L'identification des nébuleuses spirales comme objets extragalactiques, puis la découverte
de l'expansion de l'Univers sembla rendre cette constante non nécessaire. Cependant, il
avait été démontré entre temps par Elie Cartan que les équations d'Einstein avec
constante cosmologique réalisaient la solution générale du problème que s'était posé
Einstein. Peut-être les réticences à l'introduire définitivement en cosmologie viennentelles
du fait que sa présence rend la théorie d'Einstein définitivement non newtonienne:
une constante cosmologique positive (la seule possibilité en accord avec les observations)
correspondrait à un effet répulsif de la gravitation à très grande échelle.
Quel rapport avec la nouvelle échelle de longueur invariante? Il se trouve que la
constante cosmologique a la dimension d'une courbure, si bien qu'elle est l'inverse du
carré d'une certaine longueur: Λ = 1/L2. Supposer une constante cosmologique nulle
revient à prendre l'échelle cosmique L comme a priori infinie. La petitesse de Λ (les
limites observationnelles indiquent qu'elle est inférieure à 3 10–56 cm–2) manifeste
simplement le fait que la longueur correspondante est à l'échelle cosmologique.

Figure 3. Variation, en fonction de la résolution, de la dimension fractale effective (donnée par D = δ
+1) des géodésiques de l'espace-temps, en relativité d'échelle restreinte. Il apparaît dans ce cadre une
échelle de résolution minimale, identifiée à l'échelle de Planck, et une échelle maximale, liée à la
constante cosmologique. La symétrie d'échelle est brisée en deux échelles de transition (non absolues),
qui séparent l'espace des échelles en trois domaines: un domaine classique, intermédiaire, où l'espacetemps
ne dépend pas explictement des résolutions car les lois du mouvement sont dominantes par
rapport aux lois d'échelle; et deux domaines asymptotiques vers les très peites et très grandes échelles
(microscopique et cosmologique) où les lois d'échelles dominent celles du mouvement, ce qui rend
explicite la structure fractale sous-jacente de l'espace-temps.
Plusieurs arguments mènent à identifier la nouvelle échelle de résolution maximale
à cette longueur cosmique. Le premier est qu'il est étrange de voir une longueur
invariante, statique comme l'est L, définie à une échelle de longueur de l'ordre de la taille
de l'Univers, où tous les objets physiques réels sont a priori entraînés par l'expansion. Le
deuxième est un calcul de gravitation quantique fait par S. Hawking, selon lequel la
probabilité des valeurs possibles de Λ serait fortement piquée sur zéro, c'est à dire L
infinie. Mais ce calcul est fait dans un cadre où les lois de dilatation sont les lois
ordinaires (qui correspondent à une relativité "galiléenne" d'échelle). Généralisé à des lois
lorentziennes, on s'attend à ce que la valeur la plus probable de L soit maintenant
donnée par l'échelle qui joue le rôle de l'infini dans le nouveau cadre, c'est-à-dire l'échelle
maximale, invariante sous les dilatations.
L'existence des deux échelles minimale et maximale, remplaçant le zéro et l'infini
mais gardant leurs propriétés physiques (Fig. 3) introduit ainsi dans la théorie un
nombre pur, invariant, le rapport de ces deux longueurs K = L / lP, dont la valeur est de
l'ordre de 5 x 1060, qui réalise un rapport de dilatation maximal possible entre
résolutions. Cette nouvelle structure permet de reposer les questions du principe de
Mach et de la coïncidence des grands nombres d'Eddington-Dirac.
Principe(s) de Mach
Le "principe de Mach", ainsi nommé par Einstein, possède en fait trois niveaux.
Détermination des référentiels inertiels
Le premier est la question de la détermination des référentiels inertiels (qui
correspondent au mouvement rectiligne uniforme suivi par les corps qui ne sont soumis
à aucune force). Cette question a revêtu une importance extrême dans l'évolution de la
physique, en particulier des théories de la relativité. Rappelons-en brièvement l'histoire. Il
y a maintenant quatre siècles, Galilée découvrait la relativité du mouvement inertiel ("le
mouvement est comme s'il n'était pas"), en établissant qu'aucune expérience locale (par
exemple, une expérience de physique faite à l'intérieur d'une cale de navire dépourvue
d'ouverture) ne permettait de décider du mouvement ou du repos d'un corps en
translation uniforme. Seul le mouvement relatif d'un corps par rapport à un autre
possède ainsi un sens. Mais un siècle plus tard, Newton faisait remarquer que le même
problème, posé pour le mouvement accéléré, menait à une conclusion opposée.
L'accélération (par exemple liée à la rotation d'un corps sur lui-même) fait apparaître des
forces d'inertie (qui déformeront la surface de l'eau contenue dans un baquet), dont
l'existence est avérée sans référence à l'extérieur. Il semble que le mouvement ou le
repos en ce qui concerne les rotations puisse s'énoncer de manière absolue, et qu'il existe
ainsi un espace abolu. Même si cette conception domina la physique pendant deux
siècles, quelques grands physiciens tels Huygens, Poincaré puis Mach prônaient malgré
tout la relativité de tout mouvement. Une ouverture fut trouvée par Mach grâce à une
remarque très simple: par une belle nuit claire, observons le ciel sans bouger, les étoiles
semblent immobiles. Si je tourne rapidement sur moi-même, je sentirai mes bras se lever
du fait de la force centrifuge, et je verrai également les étoiles tourner. Ainsi le référentiel
inertiel est celui où les étoiles sont (approximativement) immobiles. La même expérience
peut se faire en un autre point de la Terre extrêmement éloigné et conduira au même
repère. D'où l'idée remarquable que le référentiel inertiel (où aucune force n'est ressenti)
ne soit pas au repos dans l'absolu, mais par rapport aux masses lointaines. Le
mouvement de rotation redeviendrait un mouvement relatif, mais par rapport à un
"corps" extrêmement étendu, ce qui expliquerait la cohérence du résultat sur de grandes
distances. Ce que Mach nous invite à faire, c'est la différence entre l'absolu et l'universel.
Ce problème peut être considéré comme résolu en principe par la relativité
générale, mais d'une manière un petit peu plus subtile. Les référentiels d'inertie y sont
définis d'une manière purement locale comme étant les systèmes en chute libre dans le
champ de gravitation (c'est ce que vivent les spationautes en "apesanteur"). Le champ
gravitationnel étant lui-même relié (via les équations d'Einstein) à la distribution de la
matière-énergie dans l'Univers, c'est indirectement que les référentiels inertiels se
trouvent "déterminés" par les masses, puis c'est relativement à ces repères d'inertie que
se fera un éventuel mouvement de rotation.
Amplitude des forces d'inertie
Le deuxième niveau (qu'on pourrait appeler "principe de Mach-Einstein")
concerne l'amplitude relative des forces d'inertie et de gravitation. Einstein, suivant une
lecture "forte" du principe de Mach, avait initialement l'espoir que non seulement la
distribution des masses détermine les référentiels inertiels, mais également que
l'amplitude même des forces d'inertie (qui apparaissent quand on s'en écarte) soit
déterminée dans la nouvelle théorie de la gravitation qu'il construisait: l'idée étant que
ces forces d'inertie résultent précisément des effets de la gravitation à grande échelle, et
l'espoir étant de calculer la constante de gravitation en fonction de la distribution des
masses dans l'Univers. La question de savoir si la relativité générale est "machienne" ou
non en ce sens est encore sujette à controverse: faut-il lui rajouter des relations nouvelles
pour mettre en oeuvre ce principe, ou de telles relations sont-elles en fait incluses dans la
théorie ? Une troisième possibilité est que seuls certains modèles d'Univers particuliers
sont machien: ce principe permettrait alors de trier entre les modèles.
Comme l'a montré Denis Sciama au début des années 50, la mise en oeuvre de ce
principe de Mach-Einstein ne peut se faire qu'en attribuant les forces d'inertie à un effet
d'induction de la gravitation, mais certainement pas à l'attraction gravitationnelle. Ceci
signifie que la gravitation newtonienne ne saurait être machienne. Rappelons en effet que
le potentiel newtonien est scalaire (il n'a qu'une composante, indépendante du repère; le
champ gravitationnel newtonien –la force– est un vecteur tridimensionnel), le potentiel
électromagnétique est vectoriel (il possède 4 composantes dépendantes du repère,
projections sur les 4 axes spatio-temporels d'une grandeur invariante), et le potentiel
einsteinien tensoriel (10 composantes indépendantes). L'induction correspond à
l'apparition instantanée d'une force apparemment nouvelle du seul fait du mouvement
relatif. Son explication (par la relativité) est qu'un mouvement n'est rien d'autre qu'une
rotation dans l'espace-temps, et que dans un tel changement de repère, des composantes
du champ total qui étaient nulles sur un axe ne le sont plus sur un autre. Il ne s'agit donc
pas de l'apparition d'un champ nouveau, mais de la mise en évidence de composantes
auparavant nulles d'un champ préexistant, c'est-à-dire d'un simple effet de projection.
Appliqué à la gravitation, ce point de vue mène à considérer que les forces d'inertie sont
toujours là comme composantes du champ de gravitation, mais qu'il existe un référentiel
particulier (le référentiel inertiel) où ces composantes sont nulles. On comprend alors
l'instantanéité de l'apparition des forces d'inerties dès qu'on accélère, qui serait
incompréhensible s'il agissait d'un effet direct d'attraction gravitationnel par les masses
lointaines, car cet effet devrait se propager à la vitesse de la lumière.
Comme l'a montré Sciama, cette interprétation des forces d'inertie conduit à
considérer les corps, y compris accélérés, comme totalement libres. Le référentiel lié au
corps devient tout aussi valide pour écrire les lois de la physique, mais, dans ce
référentiel, l'Univers entier est accéléré. Les forces d'inertie sont alors le champ de
gravitation induit par cette accélération. Ceci revient à poser que l'énergie totale d'un
corps, somme de son énergie inertielle (sa masse) et de son énergie d'interaction
gravitationnelle avec toute la matière de l'Univers, est nulle. Cette condition s'écrit:
m c2 + (-G Mu m/Ru)= 0
où m est la masse inerte du corps, et où le terme Mu/Ru résulte d'une intégration sur tout
l'Univers (plus précisément, à l'intérieur de l'horizon) du potentiel gravitationnel, et
désigne donc le rapport de la masse et d'un rayon caractéristique de l'Univers. Il est
intéressant de constater que la masse du corps disparaît de cette relation (en accord avec
le principe d'équivalence faible d'identité entre masse inerte et masse gravitationnelle
passive), et qu'il ne saurait y avoir, dans cette interprétation, d'anisotropie de la masse
inerte liée aux anisotropies de distribution des masses lointaines (ce qui est heureux, car
l'absence d'une telle anisotropie est vérifiée à mieux que δm/m < 10–20). Cet énoncé
devient alors une pure relation cosmologique entre masse et rayon de l'Univers:
G Mu/c2 Ru= 1
qui n'est rien d'autre, à un facteur 2 près (qu'on peut réincorporer dans une redéfinition
de Mu et Ru), que la relation de Schwarzschild définissant le rapport entre masse et
rayon d'un trou noir.
Si l'on pouvait calculer précisément ces deux grandeurs, on pourrait alors
interpréter cette relation comme déterminant la valeur de la constante de gravitation, G
= c2 Ru / Mu. Mais on peut objecter à ce point de vue qu'il ne fait que repousser la
question d'un problème local à un problème global pour lequel aucune théorie n'existe
actuellement (la distribution de la matière dans l'Univers doit être, dans l'état actuel de
nos connaissances, déduite des observations pour être placée dans le membre de droite
des équations d'Einstein contenant le tenseur impulsion-énergie).
A quel modèle d'Univers correspondrait cette relation, et qu'en disent les
observations ? On peut tout d'abord remarquer qu'il fut très vite clair pour Einstein que
la mise en oeuvre du principe de Mach impliquait une relation de ce type. C'est la raison
pour laquelle les Univers non statiques ne lui semblaient pas, dans un premier temps,
pouvoir être machiens, étant caractérisés par un rayon caractéristique Ru variable au
cours du temps, alors que leur masse caractéristique Mu, elle, est constante. (On rappelle
que tous les modèles de Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker fondés sur le principe
cosmologique et décrivant l'état actuel de l'univers, dominé par la matière, sont
caractérisés par une intégrale première ρ R 3 = cste, qui implique la constance de la
masse-énergie dans un volume comobile donné: l'expansion de l'univers conserve
l'énergie). Dans le cas du modèle sphérique, ainsi que pour tous les modèles à topologie
spatialement fermée, il existe même une masse globale de l'Univers. La solution
finalement adoptée par Einstein à ce problème consistait à remarquer que les modèles
sphériques sans constante cosmologique devaient passer par un maximum de taille et
finir par se recontracter: tous ces modèles sont donc bien caractérisés par une masse et
un rayon caractéristiques fixés et peuvent être considérés comme machien.
Mais est-ce la seule solution ? Après tout, c'est le rapport Mu / Ru qui doit être
constant, pas forcément chacun des deux termes indépendamment. De plus, un point
donné ne ressent pas à une époque donnée les effets de la masse entière de l'Univers,
mais seulement ceux de la masse incluse à l'intérieur de l'horizon (dont l'existence résulte
de la finitude de l'âge de l'Univers et du fait qu'aucune interaction ne peut se propager
plus vite que c). Cet horizon est de l'ordre de R = c/H0, où H0 est la constante de Hubble
actuelle. En écrivant la relation de Schwarzschild pour la masse comprise jusqu'à une
telle distance, M = 4πρ0 (c/H0)3, on trouve:
2G/c2 4πρ0 (c/H0)3/c/H0=8πG ρ0/3H02 = 1 .
Cette dernière relation n'est rien d'autre que l'expression du paramètre de densité
critique Ω0 = 1 qui définit un Univers plat ! C'est ainsi que la platitude de l'Univers, vers
laquelle pointent un certain nombre d'observations de grande échelle, et que seule
l'inflation semblait pouvoir justifier ("prédiction" maintenant abandonnée, car les modèles
d'inflation actuels ne l'exigent plus), pourrait être privilégiée par la contrainte du principe
de Mach-Einstein.
Mais on peut également être insatisfait d'une telle solution, et considérer que ce
principe devrait être universellement valable et non pas réservé à certains modèles
particuliers. Nous allons voir que ceci devient le cas si l'on écrit cette relation, non en
terme de l'horizon (variable au cours du temps), mais en fonction de l'échelle L de la
constante cosmologique, qui, elle, est totalement invariante. Remarquons, avant de
poursuivre, que la distance métrique de l'horizon dans le cas plat est plus précisément
donné par 2c/H0, ce qui implique que l'Univers entre dans son rayon de trou noir pour
une distance correspondant à un décalage spectral z = 3 (ce qui correspond aux 7/8 de
l'horizon).
Coïncidence des grands nombres
Un troisième niveau du principe de Mach concerne un lien éventuel entre échelle
des particules élémentaires et échelle cosmologique ("principe de Mach-Dirac").
L'existence d'une telle connexion a été suggérée par la "coïncidence des grands
nombres" d'Eddington et Dirac: le rapport de la masse de Planck sur la masse d'une
particule élémentaire typique (par exemple le muon) est de l'ordre de mP/m ≈ 1020 (1),
alors que le rapport entre la taille caractéristique de l'Univers actuel et la longueur de
Planck est (c/H0)/lP ≈ 1060 (2). Le rapport de la masse de l'Univers sur la masse de
Planck est également Mu /mP ≈ 1060 (3). (Rappelons qu'à partir de la constante de
gravitation G, de la constante de Planck h et de la vitesse de la lumière c, on peut
construire 3 échelles fondamentales, la longueur, le temps et la masse de Planck –
respectivement 1.6 10–35 m, 5.4 10–44 s et 2.2 10–5 g).
Les rapports (2) et (3) sont de l'ordre du cube de (1):
c/H0/lP≈Mu/mP≈ ( mP/m )3 .
Il y avait là pour Dirac la possibilité d'une "vérité fondamentale bien qu'encore
inexpliquée". La première égalité ... n'est rien d'autre que la relation de trou noir déjà
étudiée, qui nous ramène, comme nous l'avons vu, au principe de Mach-Einstein. Mais
d'où peut venir la deuxième ? Dans la recherche des structures qui pourraient être à
l'origine d'une telle relation, la même difficulté que précédemment se rencontre: l'échelle
de l'Univers varie au cours du temps, si bien qu'un des rapports est absolu quand l'autre
est variable. C'est un des arguments qui avait poussé Dirac à construire une théorie dans
laquelle varieraient les constantes fondamentales, en particulier G, pour compenser
l'effet de l'expansion et retrouver un rapport absolu. De telles théories sont maintenant
exclues par des tests observationnels (les constantes fondamentales n'ont pas varié de
plus de 1 % sur l'âge de l'Univers).
Faut-il dénier tout sens à cette relation ? Ou se contenter de n'y chercher qu'un
accord approximatif, comme l'a proposé Dicke, valable uniquement actuellement comme
conséquence du "principe" anthropique (qui est plutôt un biais qu'un principe suivant le
sens que lui avait donné initialement B. Carter: nous devons tenir compte, dans
l'interprétation des observations, du fait que nous occupons une position et une époque
particulière, en raison de notre existence même et des conditions qui y mènent)... Une
proposition d'approche nouvelle de ces problèmes peut être faite dans le cadre de la
théorie de la relativité d'échelle, qui permet de les relier à une autre question essentielle,
celle de la densité d'énergie du vide et de la constante cosmologique.
Solution relativiste d'échelle
Une solution immédiate et universelle s'impose naturellement au problème de la
mise en oeuvre des principes de Mach-Einstein et Mach-Dirac: ce n'est pas l'échelle c/H,
variable au cours du temps, qui doit caractériser la taille de l'Univers dans les relations
fondamentales, mais L, invariable, qui permettra d'obtenir des rapports invariants sans
avoir à faire varier les constantes et ceci quel que soit le modèle. Du coup, la masse
intervenant dans ces relations n'est plus celle à l'intérieur de l'horizon (variable au cours
du temps) mais une masse caractéristique invariante M (qui existe quel que soit le
modèle d'Univers, sphérique, plat ou hyperbolique, du fait de l'intégrale première ρR3 =
cst). Ainsi la relation de trou noir (généralisée au cas de l'existence d'une constante
cosmologique) s'écrit:
3 G M/c2 L= 1 ,
et le principe de Mach-Einstein se traduit par l'énoncé que le rayon de trou noir de
l'Univers est l'échelle de la constante cosmologique. En ce qui concerne la deuxième
coïncidence des grands nombres, la théorie fournit effectivement maintenant un nombre
pur, rapport des échelles invariantes maximale et minimale, dont nous avons vu qu'il
était précisément de l'ordre de 1060, K = L / lP. La relation de Dirac prend alors la
forme:
K = ( mP/m )3 .
Une double question se pose alors: pourquoi ce nombre est-il le cube de l'inverse d'une
masse typique m de particule élémentaire (en unités naturelles de Planck), et quelle est la
valeur de cette masse ? La réponse à cette question permettrait de déterminer l'échelle
cosmique L, donc la constante cosmologique. Le passage par le problème de la densité
d'énergie du vide y apporte une réponse partielle.
Densité d'énergie du vide et constante cosmologique
Une tentative d'élucidation de la nature de la constante cosmologique fut faite par
Zeldovich à partir de la remarque suivante: dans les équations d'Einstein, la constante
cosmologique joue a priori un rôle géométrique. Mais il se trouve que sa contribution a
la même forme que celle que donnerait, dans la partie "matière" de ces équations, une
densité d'énergie du vide quantique. Cette remarque fondamentale peut être attribuée,
comme beaucoup d'idées essentielles en cosmologie, à... Lemaître (1934). Rappelons que
le vide, en mécanique quantique, n'est pas le néant: c'est l'état d'énergie minimum d'un
champ, qui se trouve ne pas être a priori nul (c'est ce qui permet à l'électron de ne pas
s'écrouler sur le noyau dans un atome). D'où l'idée que la constante cosmologique ne
soit rien d'autre que l'effet de la densité d'énergie de tous les points zéros des différents
champs existant dans la nature. Plus généralement, la constante cosmologique vraie doit
être la somme d'une éventuelle constante géométrique et de la densité du vide.
Malheureusement, si l'on veut calculer cette densité d'énergie, on trouve ... l'infini ! C'est
une des grandeurs physiques dont la théorie de la renormalisation, par construction, n'a
pas réglé le problème (puisqu'elle consiste précisément à remplacer les masses et les
charges infinies par leurs valeurs observées finies, et à recalculer les autres grandeurs
physiques, qui prennent alors des valeurs finies en accord avec l'expérience). Peut-être
ne faut-il intégrer les points zéros des champs que jusqu'à l'échelle de Planck, qui
représente une sorte de barrière de la physique dans la théorie standard : on trouve alors
une constante cosmologique effective 10120 fois plus grande que ses estimations
astrophysiques (≈10–56 cm–2) !
La solution proposée en relativité d'échelle à ce problème intègre le fait que cet
écart semble lié, une fois encore, aux grands nombres d'Eddington-Dirac. Elle considère
le vide comme un fractal et sa densité d'énergie, non comme un nombre, mais comme
une fonction explicite de l'échelle. Il n'y a alors pas de raison d'attribuer à l'Univers (à
l'échelle cosmologique) la valeur de la densité d'énergie calculée à l'échelle de Planck.
Un deuxième point est que l'énergie est définie à une constante additive près et
peut toujours être renormalisée. Par contre, en ce qui concerne les fluctuations
quantiques de l'énergie du vide dans un volume r3, si celles-ci s'annulent en moyenne
(<E>= 0), la moyenne de leur carré, <E2>, ne saurait s'annuler du fait des relations de
Heisenberg, et variera comme r-2. Or ces fluctuations vont interagir gravitationnellement
les unes avec les autres. Leur self-énergie de couplage gravitationnel sera proportionnelle
à <E2>/r, et leur densité de self-énergie variera comme <E2>/r4 (on redivise par le
volume), soit finalement comme r–6.


Fig. 4. Variation en fonction de la résolution de la constante cosmologique effective (proportionnelle à
une densité d'énergie du vide). Elle est calculée comme la somme d'une constante géométrique, ρ cosm,
et de la self-énergie gravitationnelle des fluctuations du vide quantique, qui varie comme 1/r6. Ces deux
termes se croisent dans le domaine d'échelle des particules élémentaires (≈1 MeV à 100 GeV). (La
structure lorentzienne des dilatations à très petite échelle, qui ne change rien au résultat, n'est pas prise
en compte dans ce diagramme).
Si l'on fait maintenant la somme de cette contribution quantique et d'une constante
géométrique Λ = 1/L2, on trouve que cette somme subit une transition d'un régime à
l'autre pour une échelle r0 donnée par:
r0 = ( L ) 1/3
lP lP
ce qui n'est rien d'autre que la relation des grands nombres de Dirac (car l'échelle de
longueur est l'inverse de l'échelle de masse via la relation de Compton: r0/lP= mP/m0),
qui se trouve ainsi démontrée (Fig. 4). En particulier, la puissance 3 intervenant dans
cette relation est maintenant comprise comme résultant du rapport de la puissance 6 de
la densité de self-énergie gravitationnelle et de la puissance 2 de la relation entre la
constante cosmologique et l'échelle cosmique maximale.
Reste à déterminer l'échelle r0, ce qui permettrait de connaître la valeur de la
constante cosmologique. Une conjecture possible, qui expliquerait le lien aux particules,
est que la valeur finale de la densité d'énergie se soit figée au cours d'une des grandes
transitions de phase qui ont eu lieu durant le Big Bang. La variation en fonction de
l'échelle décrite Fig. 4 aurait ainsi été réalisée en terme d'évolution temporelle dans les
tous premiers instants de l'Univers, le refroidissement provoquant le passage de la
densité variable à sa valeur finale constante. La limite observationnelle supérieure
actuelle sur Λ est d'environ 3 10-56 cm–2. Inversement, une valeur 100 fois plus petite la
rendrait indistingable de zéro, ses effets cosmologiques devenant négligeables. Il est
remarquable que le domaine des valeurs de K associé à cet intervalle, 3 x 1060 – 3 x
1061, conduise à des valeurs de r0 qui correspondent à un intervalle d'énergie très étroit,
40 – 85 MeV. Or cet intervalle contient plusieurs échelles essentielles de la physique des
particules: le rayon classique de l'électron (qui correspond à la section efficace de
collision électron-positron) à 70.02 MeV; la masse effective des quarks dans le plus léger
des mésons, mπ / 2 = 69.78 MeV; l'échelle de QCD pour 6 saveurs de quarks (liée au
confinement des quarks) 66±10 MeV, l'énergie correspondant à 2 fois le diamètre d'un
nucléon 64 MeV. Toutes ces valeurs suggèrent qu'un bon candidat pour la transition de
phase qui aurait fixé la valeur finale de la constante cosmologique serait la transition
quark-hadrons, au cours de laquelle l'Univers est passé d'un état où les quarks étaient
libres à un nouvel état où ils se sont retrouvés confinés dans les nucléons. L'échelle de
70 MeV donnerait K ≈ 5.3 1060, soit Λ≈ 1.4 10–56 cm–2 et L ≈ 2.9 Gpc. Une telle
constante cosmologique, en accord avec les limites actuelles, règlerait définitivement le
problème d'âge de l'Univers. Les tests cosmologiques, qui la prennent de plus en plus
souvent en compte, permettront d'éprouver une telle valeur dans le futur...
Références.
R.H. Dicke, 1961, Nature 192, 440
P.A.M. Dirac, 1937, Nature 139, 323
G. Lemaître, 1934, Proc. Nat. Acad. Sci. 20, 12
L. Nottale, Fractal Space-Time and Microphysics: Towards a theory of scale relativity,
World Scientific, 1993, chapitre 7
L. Nottale, L’Univers et la Lumière, Flammarion, 1994.
L. Nottale, 1995, in "Clustering in the Universe", 15th Moriond Astrophysics meeting,
eds. S. Maurogordato, C. Balkowski, C. Tao and J. Tran Thanh Van (Frontières), p. 523
L. Nottale, La Relativité dans tous ses états, Hachette, 1998
L. Nottale, 1996, Chaos, Solitons & Fractals 7, 877, §7
D.W. Sciama, 1953, MNRAS 113, 34
S. Weinberg, Gravitation & Cosmology (Wiley, 1972)
Ya. B. Zeldovich, 1967, JETP Lett. 6, 316
Sources:
http://luth2.obspm.fr/~luthier/nottale/arCiel&Terre.pdf