La Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie anglaise
La naissance de la Franc-Maçonnerie.
Après la Renaissance, les progrès de la science ébranlèrent l'Occident chrétien. La religion y perdit son autorité et la société connut une profonde crise morale conduisant aux épouvantables " Guerres de Religions ". Le Rosicrucianisme tolérant qui avait accueilli tout l'héritage ésotérique de l'Antiquité laissa aux gens rêver d'une réforme du monde associant ésotérisme, religion et science, pour apporter la paix et la fraternité. Les multiples guerres de religion brisèrent ces espoirs. Au 18ème siècle, la Franc-Maçonnerie, héritière de la Compagnie des Maçons Acceptés, reprit ce projet de Réforme en Angleterre. Deux pasteurs, Désaguliers et Anderson, rosicruciens anglais, fondèrent un nouvel ordre ésotérique en 1717. Ils utilisent alors les traditions rosicruciennes et mystiques ainsi que les philosophies des Lumières et ils croient en Dieu, "l e Grand Architecte de l’Univers ". Le Rosicrucianisme a bien été transmis du 12ème siècle jusqu’à nos jours à travers des Organisations rosicruciennes qui sont aujourd'hui clairement séparées de la Franc-Maçonnerie. A l'époque pourtant, les deux Ordres partageaient le même ésotérisme et les mêmes sources. Cette proximité est compréhensible car les Rosicruciens du 17ème siècle voulaient réformer la science et de la religion pour construire une société plus fraternelle, plus tolérante et plus humaine. A l'origine, la Franc-Maçonnerie du 18ème avait le même projet.
Les hauts grades francs-maçons et les "Chevaliers Rose-Croix".
- En décembre 1736, le chevalier Ramsay présente la Franc-Maçonnerie comme étant la résurrection de la " religion noachite ", une religion primordiale, universelle et sans dogmes. L'Ordre aurait été amené en Grande Bretagne par les Croisades avant de se répandre en Europe. A partir de 1740, de hauts grades francs-maçons sont créés parmi lesquels celui de " Chevalier Rose-Croix ", qui est un grade terminal très éminent. Il présente la particularité d'être spécifiquement chrétien tandis que tous les autres grades maçonniques reposent sur l'universalité de la sagesse. Les plus anciens rituels du grade Rose-Croix datent de 1760 sous le titre de " Chevalier de l'Aigle et du Pélican ou Souverain Prince de Rose-Croix et d'Hérédom ". L’introduction au grade rappelle l'origine de la sagesse des Rose-Croix, " Individus qui, pendant bien des siècles, s'en assurèrent l'exclusivité à l'aide d'un voile impénétrable, ce qui donna lieu à ces institutions célèbres dont les Sabéens et les Brames sont des restes sublimes. Les Mages, les Hiérophantes, les Druides furent autant de branches de ces mêmes Initiés ". On retrouve ici l'idée de Tradition Primordiale, et les Rose-Croix sont les héritiers d'une chaîne d'initiés, Égyptiens, Zoroastre, Hermès Trismégiste, Moïse, Salomon, Pythagore, Platon et les Esséniens. C'est à ce moment que certains Maçons vont tenter de séparer le Rosicrucianisme de la Maçonnerie pour constituer des Ordres autonomes. Les Francs-Maçons vont alors créer plusieurs mouvements rosicruciens non christiques sur lesquels il convient de s'attarder un peu afin de ne pas les confondre avec les Organisations rosicruciennes christiques clairement séparées de la Franc-Maçonnerie. Les deux groupes ont parfois exercé une influence politique importante.
L'Ordre de la Rose-Croix d'or et de la Rose rouge est un mouvement non christique.
La Rose-Croix réapparaît dans la Franc-Maçonnerie dans le cadre de l'alchimie. En 1710, un pasteur luthérien, Samuel Richter, publie " La vraie et parfaite préparation de la Pierre Philosophale par la Fraternité de l'Ordre de la Rose-Croix d'Or et de la Rose Rouge ". C'est un traité d'alchimie qui expose aussi les règles de l'Ordre de la Rose-Croix d'Or et de la Rose Rouge. L'Ordre décrit par Samuel Richter n'aurait pas fonctionné mais l'appellation " Rose-Croix d'O r" est établie et les règles énoncées se retrouveront dans les instructions du grade maçonnique-rosicrucien des "Princes Chevaliers Rose-Croix ".
La Societas Roseae et Aureae Crucis, ou "Fraternité des Rose-Croix d’Or",
est un mouvement non christique.
En 1749, Hermann Fictuld évoque une " Société des Rose-Croix d’Or ", héritière de l’Ordre de la Toison d’Or. En 1757, il crée un rite maçonnique avec de nombreux grades rosicruciens: la Societas Roseae et Aureae Crucis ou Fraternité des Rose-Croix d’Or. Cette Société engendre un nouveau rite maçonnique rosicrucien qui apparaît vers 1770 en Bavière, en Autriche, en Bohème et en Hongrie. Il est adopté par une Loge de Ratisbonne, la " Croissante aux Trois Clefs ", puis par une Loge de Vienne, " l'Espérance ", laquelle donne naissance aux "Trois Épées ". Cette dernière Loge devient le centre de ce nouveau rite maçonnique rosicrucien où l'on pratique l'alchimie et la théurgie.
L'Ordre de la Rose-Croix d'Or d'Ancien Système a aussi une vocation alchimique.
En 1776, deux membres des " Trois Épées ", Johann Rudolf von Bischoffswerder, officier puis ministre de la guerre prussien, et Jean Christophe Wöllner, pasteur, instaurent un nouvel Ordre maçonnique rosicrucien, " l'Ordre de la Rose-Croix d'Or d'Ancien Système ". Prétendant remonter à l'an 151, l'Ordre se réfère à St Marc et aux Esséniens La Loge des "Trois Globes" de Berlin devient le centre de ses activités qui sont d'ordre alchimique et se différencient des enseignements du Rosicrucianisme mystique originel. Sous son contrôle paraît le livre " Symboles secrets des Rosicruciens des XVIIe et XVIIIe siècles ". Ce traité alchimique superbement illustré est souvent présenté comme le livre rosicrucien le plus important après les trois Manifestes, la Fama, la Confessio et les Noces chymiques. En 1787, l'Ordre disparut après avoir donné naissance à "l'Ordre des Frères Initiés de l'Asie".
La Societas Rosicruciana in Anglia est un ordre franc-maçon réservé aux Chrétiens.
Vers 1870, le trésorier de la Grande Loge Unie d'Angleterre, Robert Wentworth Little, fonde la Societas Rosicruciana In Anglia (S.R.I.A.). Il aurait été initié dans une Société rosicrucienne écossaise par Anthony O'Neal Haye, lequel aurait possédé le plus ancien grade maçonnique rosicrucien existant. Wynn Westcott assure sans le démontrer qu'il existe un lien entre cette Société et la Rose-Croix d'Or du 18ème siècle. La S.R.I.A. est réservé aux Maîtres Maçons chrétiens et reprend la hiérarchie de la Rose-Croix d'Or d'Ancien Système. Un membre important de l'Ordre, William Wynn Westcott, participera à la création d'un autre Ordre maçonnique rosicrucien très influent, La Golden Dawn.
The Hermetic Order of the Golden Dawn, ou l'Aube Dorée, est plutôt kabbalistique.
William Wynn Westcott aurait trouvé, dans un exemplaire des " Symboles Secrets des Rosicruciens des XVIIe et XVIIIe siècles ", cinq rituels manuscrits codés ayant appartenu à Baal Shem Tov puis à Eliphas Lévi. Sur ces bases et à la suite d'une rencontre avec le représentant de l'Ordre de la Rose-Croix en Allemagne, William Wynn Westcott et ses amis fondent à Londres, la Loge " Isis-Urania ", puis la Loge " Athathoor ", à Auteuil, puis à la fin des année 1880, " l'Hermetic Order Of The Golden Dawn ". Les rituels empruntent beaucoup aux Kabbalistes chrétiens de la Renaissance ce qui éloigne l'Ordre du Rosicrucianisme mystique originel orienté vers une alchimie intérieure. La Golden Dawn devient une des plus importantes organisations maçonniques rosicruciennes anglaises et elle la restera.
L'Ordre des Templiers d'Orient est orienté vers la magie.
Cet Ordre rosicrucien émane aussi de la Franc-Maçonnerie. Il fut animé par Theodor Reuss, membre de la Societas Rosicruciana in Germania. Après son initiation en 1893, il présentait l'Ordre comme une académie maçonnique cachant un Ordre rosicrucien secret descendant directement des Rose-Croix "originaux et authentiques", situé à Reuss, près de Leipzig. C'est vers 1902, que Theodor Reuss réussit véritablement à instaurer l'O.T.O. qui n'avait plus rien en commun ni avec le Rosicrucianisme ni avec la Franc-Maçonnerie. L'organisation devint rapidement suspecte et prit fin avec la mort de Theodor Reuss, en 1923. Plusieurs de ses disciples tentèrent néanmoins de poursuivre son œuvre.
L'Ordre des Élus Cohen pratiquait la magie.
Il fut fondé par Jacques Martinez, (Jacques de Livron Joachim de la Tour de la Casa Martinez de Pasquales), né vers 1727 à Grenoble. Son père avait reçu de Charles Stuart une patente transmissible à son fils qui devint le " Puissant Maître Joachim Don Martinez Pasqualis " avec le pouvoir d'ériger des temples à la gloire du Grand Architecte. A 28 ans, Martinez est Maître Maçon et travaille à la création d’un mouvement spirituel au sein de la Franc-Maçonnerie. Lorsqu’il érige ce mouvement en Ordre, il l'appelle " Ordre des Chevaliers Maçons Élus Cohen de l’Univers " et quand les Hauts Degrés sont introduits dans la Franc-Maçonnerie, il n'y admet que des Maîtres-Maçons de degré "Elu". En mai 1763, il envoie sa Patente Stuart à la Grande Loge de France et l'informe qu’il a créé un Temple, à Bordeaux, sous la Constitution de Charles Stuart, Roi d'Ecosse, d’Angleterre et d'Irlande, Grand Maître des Loges disséminées sur toute la surface de la Terre. Le nom de sa Loge devient " La Française Élus Écossais ", officialisée en 1765 par La Grande Loge de France. En 1767, Martinez fonde le "Souverain Tribunal des Élus Cohen" et Lyon devient la capitale spirituelle de l’Ordre. En 1772, Martinez part à Saint Domingue, après avoir obtenu un "certificat de catholicisme". Comment un Franc-Maçon, Grand Maître de son propre Rite du Haut Degré, obtint-il ce certificat? L’Ordre comprenait trois classes principales suivies de degrés secrets dont les Réau-Croix, à ne pas confondre avec les Rose-Croix. Le Réau-Croix contacte les plans spirituels par la théurgie, attirant les puissances célestes dans sa propre aura et dans celle de la Terre. L'objectif magique est d’obtenir la Vision Béatifique du Rédempteur, Jésus Christ. Martinez est mort à Port-au-Prince en 1774. Ses successeurs mirent l'Ordre en sommeil. Il ne fut réactivé qu'en 1996.
Le Martinisme est magique et christique.
Le martinisme n'est pas le prolongement de l'Ordre des Elus Cohen. Après la mort de Martinez, deux disciples, Willermoz et Saint-Martin (qui entra dans l’Ordre des Philosophes Inconnus) diffusèrent son enseignement. La doctrine gnostico-mystique développée par Louis-Claude de Saint-Martin se rattache aux systèmes de Boehme et de Pasqually. Avant le temps, Dieu produisit par émanation des êtres spirituels dont une partie tomba dans le péché d’insubordination. Dieu créa alors un univers pour circonscrire ce mal en emprisonnant les déchus. Il émana l’Homme primordial, l'Adam Qadmon, au corps glorieux, vice-roi de l’univers, pour amener ces démons à résipiscence. Sous la Révolution, la " Terreur " mit Saint-Martin en danger. Il continua à réunir ses adeptes mais, pour cacher leur identité, ils portèrent des masques et des capes pendant les réunions. Saint-Martin mourut en 1803. C'est le Dr Encausse, Papus, qui créa en 1891 l'Ordre Martiniste une philosophie mystique illuministe d’inspiration chrétienne. L’homme primordial était en liaison avec son créateur. Par la faute d’Adam, il perdit ses privilèges mais il peut réintégrer le monde divin par la théurgie (exercices occultes, magiques et mystiques). L'Ordre se dote d'un Suprême Conseil, installé en 1891. Il comptait douze membres dont Papus, Chaboseau, de Guaita, Sédir (Yvon Leloup), Haven (E. Lalande), et V-E. Michelet. Papus devient Grand Maître et l'Ordre connaît une extension rapide. En 1898, il existait 113 loges dans le monde. On ne peut entrer dans l'Ordre sans y être invité. L’initiateur doit faire partie de la lignée ininterrompue depuis Saint-Martin, et l'initiation confère des pouvoirs qui permettent de pratiquer la magie. Les femmes y sont admises. Pendant la guerre de 1914, l'Ordre tombe en sommeil puis est réanimé en 1931. L'ajout " Traditionnel " montre que l'Ordre s'appuie sur les fondements véritables du martinisme face aux groupes indépendants. L'ordre est encore menacé par la guerre de 1939. Ralph Maxwell Lewis, Imperator de l'AMORC est alors chargé par le Suprême Conseil d'installer l'Ordre Martiniste Traditionnel aux Etats-Unis. Après la guerre, L'AMORC se réorganise et décide que l'OMT exercera ses activités en son sein. L'Imperator de l'AMORC est aussi Souverain Grand Maître de l'OMT, pareillement pour les juridictions françaises. Les ordres martinistes actuels, tels l’Ordre Martiniste dit " de Papus ", l’Ordre Martiniste Traditionnel (OMT), filiale de l’AMORC, et l’Ordre Martiniste des Élus Cohen, sont très actifs.
La Rose-Croix AMORC est ésotérique, théiste mais non christique.
L'AMORC, (Anticus Mysticusque Ordo Rosae Crucis), a été fondée en 1909 par Harvey Spencer Lewis (Sâr Alden), passionné d’égyptologie et d’occultisme, qui fixe son siège à San Jose (Californie) qui aurait reçu l’initiation rosicrucienne à Toulouse. Puis il aurait subi une initiation rituelle à Louxor et reçu des missions. Il détiendrait des manuscrits secrets (datant de 1694), transmis par les anciens rosicruciens américains, ce qui lui donnerait pouvoir pour exercer le mandat d’Imperator. L’AMORC est diffusée dans le monde, et à partir de 1921, elle est introduite progressivement en France. Après la mort de Harvey Spencer Lewis en 1939, son fils, Ralph M. Lewis, lui succède. L’AMORC française disparaît en 1941 et réapparaît après la guerre. Jeanne Guesdon en devient Grand Maître en 1949. A sa mort, en 1959, Ralph Lewis propose Raymond Bernard, Grand Secrétaire depuis 1956, après un intérim exercé par Albin Roimer, Grand Maître de Suède. Serge Wahart fut Grand Secrétaire de 1966 à 1969. Christian Bernard, fils de Raymond Bernard, est consacré Grand Maître pour la France et les pays francophones en 1977. Maurice Tregouët fut Grand Secrétaire de de 1977 à 1981. La Rose-Croix AMORC est un système complexe. Le fondement de la doctrine s'appuie sur le spiritisme, la philosophie grecque, la religion égyptienne, et la théosophie hindouiste. Dieu est impersonnel. Il est le Cosmique, le dieu dans le coeur. La matière est éternelle, esprit et énergie. Le Noûs, la pensée, est la force créatrice universelle. Par l'évolution et la réincarnation, tout évolue vers le divin. L'AMORC est toujours le siège d'une importante activité.