|
La Rose-Croix au 16ème et au 17ème siècle.
Les symboles de la rose et de la croix.
L'association des deux symboles est très ancienne. Déjà en 1265, Jean de Meung reprend le Roman de la Rose commencé par Guillaume de Lorris. Le livre devient une encyclopédie traitant des origines du monde, de la nature, de l'art, de l'astronomie, de la religion et de la morale. Il préconise aussi le retour à la simple vie chrétienne. Au delà des symboles, la source peut être à rechercher auprès du Graal, le secret le plus mystérieux du Moyen-Âge. Il s'est imposé à la conscience intérieure d'une époque éprise de spiritualité et d'élévation car il évoquait pureté et révélation, sacrifice et guérison parfaite. Les plus anciennes versions de la légende datent 1150 à 1220. Dans la Divine Comédie de Dante, vers 1320, le huitième ciel du paradis est décrit comme le ciel étoilé des Rose-Croix. Certains auteurs placent l'origine des Rose-Croix chez les Amis de Dieu de l'Île Verte à Strasbourg. Au 14ème siècle, Rulman Merswin, issu d’une famille de banquiers strasbourgeois, y acquiert un ancien couvent bénédictin. L’Île Verte de Strasbourg devient un centre spirituel où se développe la spiritualité des " Gottesfreunde ", Amis de Dieu ou Chevaliers johannites, (La présence ecclésiale dans le couvent de l’Île Verte est confiée à l’Ordre des Chevaliers hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem). C'est une maison de refuge où peuvent se retirer tous les hommes honnêtes et pieux, laïcs ou ecclésiastiques, chevaliers, écuyers et bourgeois, qui désirent fuir le monde et se consacrer à Dieu sans entrer dans un ordre monastique. Puis, Rulman Merswin et les Amis de Dieu se trouvent en relation avec un personnage mystérieux qui va les guider dans la voie spirituelle par une série d'écrits, parmi lesquels on peut citer Le Livre du maître de la Sainte Ecriture, Le Livre des Cinq hommes qui décrit la société idyllique du "Haut Pays". Ce Maître intérieur guide les initiés, non plus en ce monde-ci, mais dans les contrées de l'au-delà du monde. Il se pourrait aussi que la fondation de l’Ordre des Rose-Croix implique Paracelse, médecin et alchimiste, né en Suisse vers 1493. Dés 1536, il utilise les symboles de la rose et de la double croix lorraine, et il prédit la venue d’Elias-Artista, l’Esprit radiant, ambassadeur du Paraclet et personnification future de l’Ordre. L'origine effective de la Fraternité prestigieuse des Rose-Croix reste cependant assez mystérieuse.
Les traditions ésotériques.
En Occident, au 16ème siècle, époque de la manifestation publique des Rose-Croix, les sources de l’ésotérisme rassemblent diverses traditions, gnostiques, hermétistes et néoplatoniciennes, alchimistes, kabbalistes, mazdéistes, cathares ou même manichéennes, autochtones comme celle du Graal, issues de l'Essénisme comme celles des premiers docteurs de l’Église, ainsi qu'un courant transmis par les Druzes. Les Rose-Croix semblent alors avoir enfin réussi à réaliser une large synthèse de ces multiples traditions inspirées. Puisant à leurs immenses richesses spirituelles, la philosophie de la Fraternité s'en est grandement enrichie et elle s'est élevée au dessus des dogmes contraignants des diverses religions extérieures. Il demeure cependant important de situer la première et principale manifestation publique du mouvement dans son arrière plan historique qui est alors clairement l'époque de la Réforme, et dans le contexte de la Guerre de Trente Ans et des Guerres de Religion. Au 16ème siècle, les armes de Luther portent une rose percée d'une croix. Valentin Andreae s'en inspire pour créer ses propres armes, une croix encadrée de quatre roses. Pour nous, ce siècle-là est celui de la Renaissance et des débuts de la Science moderne. C'est pourtant la crise religieuse, la Réforme et toutes ces terribles guerres qui marquent profondément les cœurs et les esprits de l'époque.
La Réforme et la permanence du mouvement de protestation.
La " Réforme " est le mouvement religieux d’où est né le protestantisme. Il était annoncée par les Vaudois, cruellement persécutés, par les idées de Wyclif, ou par le sort de Jean Hus, condamné et brûlé par traîtrise. Il faut comprendre que, dès le début du Christianisme, la transformation progressive et autoritaire des dogmes a continuellement suscité des protestations des divers mouvements réformateurs. On en trouve la trace dans le premier concile, celui de Nicée, dont le " canon " montre déjà de la méfiance à l'égard des " Cathares ", les purs, qui appellent les fidèles au respect des enseignements évangéliques. Tout au long de son histoire, oubliant ses propres martyrs, l'Église combat cruellement tous ceux qui contestent l'évolution contraignante et continue de sa conception du Christianisme, et elle les accuse d'hérésie, tels les Gnostiques, les Ariens, les Manichéens, les anéantissant par le martyre et par le feu comme, au 13ème siècle, les nouveaux Cathares. Au 16ème siècle, cette impulsion protestataire amène une partie de la chrétienté à se détacher de l’Église romaine, en rejetant ses dogmes et l’autorité du pape. Les réformateurs et Luther espéraient que l’Église rétablirait le christianisme des origines, en le débarrassant des multiples adjonctions qui l’avaient altéré. Mais Luther est excommunié en 1520. La rupture consommée, le luthéranisme séparé se répand en Allemagne, malgré l’opposition de Charles Quint. Il prévaut au Brandebourg, en Hesse, en Saxe, au Wurtemberg et dans la plupart des villes libres. Les luthériens présentent leur Confession de foi à la diète et l'on admet alors que chaque prince peut imposer sa religion à ses sujets, à la Paix d’Augsbourg, en 1555.
Le Calvinisme.
Le Lutherianisme s'était répandu dans les pays baltes et scandinaves. Avec Zwingli, un mouvement analogue mais indépendant naît en Suisse. Calvin en fixe les principes et le calvinisme se répand en France malgré l’opposition royale. En 1559, deux mille églises adoptent la Confession de foi de la Rochelle, rédigée par Calvin. La fin du 16ème siècle est marquée par les terribles " Guerres de Religion ", et la Saint-Barthélemy. En 1599, l’édit de Nantes d'Henri IV accorde provisoirement aux protestants le droit de célébrer leur culte. La Réforme calviniste se répand alors en Hongrie, au Palatinat, aux Pays-Bas et en Écosse. En 1534, un autre protestantisme apparaît en Grande-Bretagne. Henri VIII détache l’Eglise d’Angleterre de Rome et l’Acte de Suprématie la soumet à l'autorité royale. Depuis l’Angleterre, une Réforme " puritaine " se répand ensuite jusque dans le Nouveau Monde.
Les Manifestes de la Rose-Croix.
En 1614, la paix religieuse étant provisoirement rétablie, deux manifestes sont publiés. Ce sont la Gloire de la Fraternité, (la fameuse Fama Fraternitatis, et de la Confession des Frères Rose-Croix). Ils exposent la doctrine de la Fraternité des Rose-Croix qui préconise une réforme générale de l’Humanité. On suppose d'abord qu'ils sont l'œuvre du pasteur protestant de Strasbourg, Valentin Andreae, qui publie ensuite de nombreuses autres œuvres dont les plus importantes sont les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz et Christianopolis. Plus tard, les manifestes seront considérés comme une œuvre collective. Sédir nous dit que " Jean-Valentin Andrea (1586-1654), fut un des hommes les plus savants de son temps ". Son grand-père Jacob était ami proche de Luther. Il avait été un illustre théologien, l'un des auteurs de la Formule de Concorde. On le surnomma d'ailleurs " le second Luther ". Andrea étudia au séminaire de Tubingen. Il acquit une rare culture dans les langues anciennes et modernes, les mathématiques, les sciences naturelles, l'histoire, la géographie, la généalogie et la théologie, et laissa une œuvre considérable. Il subit l'influence de Jean Arndt (1555-1621), grand prédicateur mystique, et de ses amis, Christophe Besold et Wilhelm Wense, dont la vie voulait être une imitation de Jésus-Christ. Ils prêchaient, contre le dogmatisme et le ritualisme de l'Église, la nécessité d'une vie toute d'esprit et d'amour, la droiture, la lutte contre les tendances mauvaises, l'intégrité de l'esprit, l'austérité des mœurs, la charité, la justice, affirmant que seule une vie sainte permet l'entrée dans le cœur humain du Saint-Esprit qui unit l'homme à Dieu et lui confère ses dons. Ils reprenaient dans leur prédication l'enseignement de saint Paul sur le vieil homme qui doit être crucifié avec le Christ pour ressusciter avec le Christ".
Les Ouvrages R+C originaux.
Sur ces principes, Jean-Valentin Andrea établit un remarquable programme de renouvellement et de conversion pour son Eglise. Quand parurent les manifestes de la Rose-Croix, il publia " Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz ". On ne sait pas vraiment qui a composé la Fama et la Confessio. Ces écrits ne sont pas l'oeuvre d'un seul auteur et ils expriment les idées et les espérances d'une collectivité. La Reformation, la Fama, la Confessio, ainsi que les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz sont les seules manifestations écrites originales des Rose-Croix. Ce sont les premiers ouvrages où l'on trouve le nom de la Fraternité et ils furent souvent réimprimés et traduits. Le frontispice de la Fama Fraternitatis proclame " Allgemeine und general Reformation, der ganzen weiten Welt ", (Réformation universelle et générale du vaste monde entier). Les trois livres s'inscrivent évidemment dans un prolongement de l'œuvre de Martin Luther qui n'avait jamais caché son accord avec les thèses pré-rosicruciennes (l'explication qu'il donne de son sceau le prouve). Il s'agit donc d'une mission évangélisatrice répétant celle du Christ. Elle fait suite à la tentative de Luther et de ses prédécesseurs catholiques pour réformer le christianisme par l'intérieur. La Confessio s'affirme résolument protestante et les Noces chymiques condamnent symboliquement Rome avant l'affirmation de la nouvelle ère et l'instauration d'un nouveau royaume.
La Guerre de Trente Ans.
Deux ans après l'appel de la R+C, un conflit de pouvoir amène les protestants de Bohème à projeter deux gouverneurs catholiques à travers la fenêtre de la Salle du Conseil de Prague. Une terrible guerre commence. La " guerre de Trente Ans " ravage l'Allemagne et la Bohême. Les populations protestantes sont impitoyablement massacrées par les troupes impériales. Un tiers des habitants disparaît. Les états luthériens échappent à l'anéantissement grâce à l'intervention tardive de la France catholique de Richelieu, secourant politiquement les protestants pour freiner l'extension autrichienne. Les bourgs sont en cendres, les campagnes sont ravagées, la soldatesque rançonne les villes, et les épidémies déciment les derniers survivants affamés.
La relance de la Rose-Croix.
Après la paix de 1648, l'appel R+C de 1615 est repris par les populations meurtries et désemparées. Il est relayé et démultiplié dans l'espoir de dépasser les haines aveugles et les grands malheurs nés de la guerre, en réunifiant la Chrétienté comme l’avaient voulu les premiers réformateurs. Les livres Rose-Croix sont interdits par les Catholiques, et leur détention est parfois punie de mort. Néanmoins, la publication hollandaise des trois manifestes alimente une énorme floraison mystique surtout en Allemagne où neuf cents opuscules les reprennent jusqu'au 18ème siècle. Avec les Pays-Bas, c'est toujours le pays dans lequel l'activité rosicrucienne est la plus marquée. Jean-Valentin Andreae, indigné par les abus que les enthousiastes faisaient des principes de la Rose-Croix, décida de se retirer du mouvement, mais il déclara dans Turris Babel, "Je quitte maintenant la Fraternité, mais je ne quitterai jamais la véritable fraternité chrétienne qui sous la croix perçoit les roses et évite les souillures du monde". Il publia "Invitation à la Fraternité du Christ en 1617", puis "Description de la République de Christianopolis", en 1619, un programme d'une Union chrétienne où il reprenait les thèses de la Fama et de la Confessio.
Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz.
Cet ouvrage parut sans nom d'auteur, en 1616. Jean-Valentin Andreae, dans son Autobiographie, déclare qu'il composa ce livre vers 1601, alors qu'il avait quinze ans. Voici ce que Sédir dit du livre:
" Dans sa lettre, ce traité est un exposé de l'œuvre métallique (alchimique), assez détaillé. Dans son esprit, il décrit la montée de l'âme, de degrés en degrés, vers l'illumination. Ce livre est attribué à Christian Rosencreutz qui l'aurait écrit en 1459. Il raconte, en sept journées, le mariage du roi, puis sa décollation et enfin sa résurrection. C'est sur une invitation que le roi lui adresse d'assister à ses noces que Rosencreutz se met en route, dans le sentiment profond de son indignité. En souvenir du Christ, il noue en croix un ruban rouge sur sa robe de bure, il pique quatre roses à son chapeau et prend comme viatique du pain, du sel et de l'eau.
A l'entrée de la forêt il distingue trois voies : une courte, mais dangereuse, la seconde qui est la voie royale réservée aux élus et la troisième, agréable mais très longue. Il est prévenu qu'une fois choisi le chemin, il ne pourra plus revenir en arrière. Il demande à Dieu qui lui fait prendre le second chemin. Celui-ci le mène au château royal construit sur une montagne. Un personnage lui demande son nom, et il répond : Frère de la Rose-Croix rouge. Les nombreux candidats aux noces du roi sont pesés. Rosencreutz est le plus pur. Il est reçu avec tous les honneurs, et on lui remet la Toison d'Or ornée d'un Lion volant. Quant aux intrus, une coupe leur est donnée, remplie du breuvage d'oubli avant qu'ils soient chassés avec l'ordre de ne plus revenir au château du roi pendant leur vie.
Suivent d'autres épreuves symboliques et la représentation d'une comédie en sept actes. Devant la reine est un gros livre renfermant toute la science réunie dans le château. Les élus sont au nombre de neuf et ils tiennent chacun une bannière portant une croix rouge. Enfin le devoir est notifié aux élus de penser à Dieu et de travailler pour sa gloire et pour le bien des hommes. Ensuite le couple royal est décapité, ainsi que quatre rois et reines présents. Les six personnes sont ensevelies et leur sang est recueilli dans un vase d'or. Le Maure qui a procédé à l'exécution est décapité à son tour et sa tête rapportée dans un linge. Il est dit aux élus : " que la vie de tous ces êtres est entre leurs mains et qu'ils doivent garder une fidélité plus forte que la mort ". La nuit, les six cercueils sont emportés par des navires. Les élus assistent aux funérailles symboliques des souverains et sont invités à chercher le médicament qui rendra la vie aux rois et aux reines décapités. De longues opérations alchimiques sont décrites ".
Le roi et la reine ressuscitent. Ils travailleront avec les élus au triomphe de Dieu. Le roi nomme ceux-ci " chevaliers de la Pierre d'Or ", avec le pouvoir d'agir sur l'ignorance, la pauvreté et la maladie. Quant à Rosencreutz, il aura encore d'autres épreuves à surmonter avant d'arriver au terme. Il lui a été dit : Tu as reçu plus que les autres. Efforce-toi donc de donner davantage également. La signature de chacun est demandée, et notre héros écrit : " La plus haute science est de ne rien savoir ". " Frère Christian Rosencreutz - Chevalier de la Pierre d'Or". Fin de citation.
Dans le récit des Noces Chymique, le fondateur légendaire de la Rose-Croix, Christian, invité aux noces de Sponsus et de Sponsa, (l’époux et l’épouse), rêve également qu’il est enfermé au fond d’un puits ou d’une tour dont il sort à l’aide d’une corde lancée de l’extérieur. Il se met ensuite en route et traverse la forêt. C'est en cherchant à aider une colombe combattue par un corbeau, qu'il trouve son chemin et il est alors guidé vers le château royal.
Le sens des Noces Alchymiques.
Les descriptions contenues dans le récit ont pu être interprétées comme des indications précieuses pour la réalisation du Grand œuvre alchimique. Nous savons cependant que les alchimistes étaient fondamentalement des métaphysiciens ésotéristes. La poursuite du Grand œuvre était seulement pour eux le symbole du chemin nécessaire à la réalisation de l’indispensable transfiguration de l’âme, prélude à la résurrection de l’Homme véritable, la figure divine originelle. Là est le sens caché et véritable des Noces Alchymiques de Christian Rose-Croix, ouvrage qui répète sous une forme différente le message médiéval de la Quête du Graal par Perceval le Gallois. Les véritables écoles spiritualistes rosicruciennes poursuivent aujourd’hui encore dans le Monde l’œuvre initiatique qui conduit à cette connaissance. Leur enseignement témoigne toujours d’une inspiration rosicrucienne authentique et vivante. Elles adaptent leur message ésotérique permanent aux temps et aux lieux où il est prononcé. Dans notre civilisation, elle vont s’appuyer sur les traditions chrétiennes tout en expliquant le sens caché des mythes et des écritures.
Les Rose-Croix en France.
A Paris, en 1622, une affiche est placardée qui proclame: " Nous, Deputez du Collège principal des Frères de la Roze-Croix, faisons séjour visible et invisible en ceste ville, par la grâce du Très Haut vers qui se tourne le coeur des justes. Nous monstrons et enseignons sans liures ny marques à parler toutes sortes de langues des païs où voulons estre, pour tirer les hommes nos semblables d'erreur et de mort ". Une autre affiche suit: " S'il prend envie à quelqu'un de nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous mais, si la volonté le porte réellement et de fait à s'inscrire sur le registre de nostre confraternité, nous, qui jugeons les pensées, luy ferons voir la verité de nos promesses, tellement que nous ne mettons point le lieu de nostre demeure, puisque les pensées, iointes à la volonté reelle du lecteur, seront capables de nous faire cognoistre à luy et luy à nous. ". Les affiches eurent un retentissement considérable mais leurs auteurs sont inconnus. En 1624, le Père François Garasse demande pour les Rose-Croix " la roue et le gibet ".
Sources : http://jacques.prevost.free.fr/cahiers/cahier_14.htm
Date de création : 10/10/2009 • 14:46
Dernière modification : 10/10/2009 • 15:02
Catégorie :
Page lue 4109 fois
Imprimer l'article
|
|