La méthode est une absence de méthode
Publié par Huanshen
Un commentaire récent me demande si, en fin de compte, il faut comprendre qu'il n’y a rien à faire. C'est un très bonne question à laquelle on est tous confronté un jour ou l'autre, notamment suite à la lecture de grands maître de la dynastie Tang, notamment Lin-chi, Huang-po, Ma-zu ou même Hui-neng.
Voilà ce que je propose pour illustrer la méthode initiale du retournement de la lumière.Demandons-nous maintenant si nous sommes conscients. La réponse est « oui ». Alors, que ce passe-t-il lorsque nous prenons conscience que nous sommes conscient? [Il ne faut pas essayer de formuler une réponse rationnelle mais simplement de se poser la question et le vivre la réponse]. Que ce passe-t-il à l'instant où je prends conscience que je suis conscient ? Maintenant, concentrons-nous sur un petit objet pendant 1 ou 2 minutes. Puis détachons la conscience de l’objet pour devenir conscient de la conscience elle-même. Nous prenons simplement conscience d’être conscient. La conscience se retourne ainsi sur elle-même.
C’est la première étape de la méthode du retournement de la lumière. Dogen en parle explicitement dans son traité du Zazen (Fukanzazengi) : "abandonnez une pratique fondée sur la compréhension intellectuelle, s'en tenant aux mots et à la lettre, apprenez le demi-tour, qui dirige votre lumière vers le dedans et illuminera votre véritable nature. Le corps et l'âme d'eux-mêmes s’effaceront et apparaîtra votre visage originel ".
Comme la conscience détachée des penses et des sensations n’est pas un objet mais le témoin silencieux des objets de la conscience, ce retournement n’est pas dirigé vers un objet de méditation. On ne fait rien de spécial. On ne pense pas. On ne médite pas. On est simplement assis. La relation sujet-objet s'estompe et l'on demeure dans cette pure présence, cette ouverture totale. Les objets de la conscience (pensées, sensations, perceptions, etc.) ne sont plus perçus comme des choses solides, mais comme des manifestations illusoires de l'esprit flottant dans l'espace immatériel de la conscience. Bien entendu, cette méthode n'est pas limitée à l'assise. Elle doit idéalement être poursuivie tout au long de la journée.
Des maîtres du Zen nous disent qu'ultimement la source de la conscience est notre nature originelle. "Votre esprit est le Bouddha" dit Ma-zu. Plus on remonte à sa source, plus le corps et les pensées paraissent illusoires, semblables à des vagues flottant sur l’océan de la conscience. Notre véritable nature se découvre alors, comme le soleil qui n’était que momentanément voilé par les nuages. C’est notamment dans ce sens que Dogen considère que Zazen n'est pas un moyen pour atteindre l'éveil, mais une actualisation ou un dévoilement de la nature de Bouddha.
Le problème de la méthode précédemment décrite, c’est qu’elle nous abandonne généralement au seuil de la "porte sans porte" des patriarches, alors qu’il nous faut remonter plus avant à la source de la conscience pour pénétrer la grande affaire du Zen qui ne se révèle que par un éveil soudain (C. 'Wu'; J. 'Kensho') dévoilant l’essence de l’esprit (S. 'Citta'). C'est la raison pour laquelle le Zen fait généralement appel aux koans (ou houa-t’ou) qui jouent le même rôle de retournement de la conscience sur elle-même, tout en pénétrant profondément dans l’inconscient, au fond de la 8ème conscience (Alayavijnana), pour provoquer son éventuel retournement.
Nous pouvons par exemple examiner le hua-t’ou "où est l’esprit ?" (ou "qui traîne ce cadavre ?", "qui voit et entend?", "d'où proviennent les pensées?", "quel est notre visage originel d’avant la naissance de nos parents ?", etc.)
Assis, debout, en marchant ou couché, nous nous posons sincèrement et calmement la question "où est l’esprit ?", "où est l’esprit ?". Nous le cherchons dans le corps, en dehors du corps, dans les pensées ou dans l’espace de clarté entre deux pensées... Et nous ne trouvons rien de tangible… Nous ne trouvons pas de sujet. Nous en venons à douter de notre propre existence. Nous nous demandons encore "où est l’esprit ?" Peu à peu, le questionnement s’intensifie pour former une grande masse de doute qui, un jour, devrait éventuellement éclater dans le Satori pour nous laisser entrevoir notre visage originel.
Source :
http://videinsondable.blogspot.com