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La dissolution
John Addington Symonds (1840-1893)
Soudain, à l’église, en société ou occupé à lire — et toujours, me semble-t-il, lorsque mes muscles étaient au repos —, je ressentais l’approche de cette atmosphère. Avec une force irrésistible, elle s’emparait de mon esprit et de ma volonté, durait ce qui me paraissait une éternité, et s’effaçait en une série de sensations rapides, semblables à celles qui accompagnent le réveil d’une anesthésie. L’une des raisons pour lesquelles je détestais cette espèce de transe était mon incapacité à m’en donner à moi-même une description. Maintenant encore, je ne parviens pas à trouver les mots qui la rendraient intelligible. Elle consistait en une oblitération graduelle, mais rapide, de l’espace, du temps, de la sensation et des multiples données d’expérience qui paraissent qualifier ce que nous nous plaisons à appeler notre Moi. A mesure que disparaissent ces conditions de la conscience en sa forme ordinaire, s’intensifiait le sentiment d’une forme sous-jacente et essentielle de conscience. A la fin ne demeurait qu’un Moi pur, absolu, abstrait. L’univers devenait informe et vide de contenu. Mais le Moi subsistait, formidable en sa vivante acuité, en proie au doute le plus poignant sur la réalité, prêt, semblait-il, à voir l’existence éclater comme une bulle de savon. Qu’arrivait-il alors ? L’appréhension d’une dissolution imminente, la sombre conviction que cet état représentait l’état ultime du Moi conscient, l’impression d’avoir suivi le dernier fil de l’être jusqu’au bord de l’abîme et obtenu comme une démonstration de la Maya, de l’universelle illusion. Tout cela me remettait, ou paraissait me remettre, sur la voie du retour aux conditions de l’existence consciente. Je retrouvais tout d’abord le sens du toucher. Puis, d’une manière graduelle bien que rapide, affluaient à nouveau les impressions familières et les intérêts diurne. A la fin, je redevenais, une fois encore, un être humain. Et même si l’énigme de ce qu’on nomme la vie demeurait non résolue, j’étais heureux d’être remonté de l’abîme, de m’être soustrait à une aussi terrifiante initiation aux mystères du scepticisme.
John A. Symonds, cité par Michel Hulin, La mystique sauvage, Puf, 2008.
Date de création : 08/08/2009 • 09:22
Dernière modification : 08/08/2009 • 09:30
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