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La catharsis absolue
Arthur Koestler (1905-1983)
J’ai dû rester là plusieurs minutes, en état de transe, me répétant sans user de mots : « Ceci est parfait, parfait », jusqu’à ce que je prenne conscience de quelque gêne légère à l’arrière-plan de mon esprit, quelque circonstance triviale venant déparer la perfection de ce moment. Alors, je me rappelai la nature de cet ennui intempestif : j’étais, bien sûr, en prison et susceptible d’être fusillé. Mais cela fut suivi aussitôt d’un sentiment dont la traduction verbale serait : « Et alors ? C’est tout ? Tu n’as donc pas de plus sérieux motif de souci ? » La réponse était aussi spontanée, fraîche et amusée que si l’ennui en question avait été la perte d’un bouton de chemise. Ensuite je flottai sur le dos, emporté par une rivière de paix sous des ponts de silence. Elle venait de nulle part et coulait vers nulle part. Ensuite, il n’y eut plus de rivière, ni de moi. Le Moi avait cessé d’exister… Quand je dis « le Moi avait cessé d’exister », je fais allusion à une expérience concrète, aussi verbalement incommunicable que l’émotion soulevée par un concerto pour piano, aussi réelle et même bien plus réelle… Le « Moi » cesse d’exister en ce sens que, grâce à une certaine osmose mentale, il est entré en communication avec le réservoir universel ou s’est résorbé en lui. C’est ce mouvement de dissolution et d’expansion illimitée qu’on appelle le « sentiment océanique », l’épuisement de toute tension, la catharsis absolue, la paix qui passe toute compréhension.
Arthur Koestler, The Invisible Writing, Stein & Day, cité par Michel Hulin, La mystique sauvage, Puf, 2008.
Date de création : 08/08/2009 • 09:16
Dernière modification : 08/08/2009 • 09:16
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