La porte s’est ouverte
Jacob Boehme (1575 -1624)
Je n’ai jamais désiré connaître quelque chose du Mystère divin. Je comprenais encore moins de quelle façon je pouvais le chercher ou le trouver. Je n’en savais pas plus que de simples laïcs. J’ai uniquement cherché le cœur de Jésus-Christ pour y trouver refuge devant la terrible colère de Dieu et les attaques du diable. Et j’ai prié ardemment Dieu de me donner son Esprit saint et la grâce de me bénir, de me conduire, de m’enlever ce qui pouvait m’éloigner de lui, de me rendre entièrement à lui de façon que je ne vive point suivant ma volonté, mais selon la sienne ; j’ai prié pour que lui seul me dirige et que je puisse être son enfant dans son fils Jésus-Christ.
Dans cette recherche et ce désir (j’ai supporté de violentes attaques mais, au risque de ma vie, je ne voulais pas abandonner), la porte s’est ouverte devant moi de sorte que j’ai pu voir et apprendre en un quart d’heure plus que si j’avais fréquenté l’Université pendant de nombreuses années. Cela m’a grandement étonné, je ne savais comment cela avait pu se réaliser et mon cœur se mit à louer Dieu. Car j’ai vu et j’ai connu l’essence de tous les êtres, le fondement et le néant. Et aussi la naissance de la Sainte Trinité et l’origine et l’état premier de ce monde et de toutes les créatures dans la Sagesse divine. J’ai connu et j’ai vu en moi-même les trois mondes : le monde divin, angélique et paradisiaque, le monde des ténèbres, fondement de la nature ignée, et ce monde extérieur et visible comme créature engendrée ou exprimée par les deux mondes spirituels intérieurs. J’ai vu et j’ai connu toute l’essence, dans le mal et dans le bien, comment l’un est fondé sur l’autre et en provient, comme la mère d’une accouchée. Non seulement, j’en ai été émerveillé, mais encore rempli de joie.
Tout de suite, je connus dans mon esprit le dessein de la consigner en un Mémorial. Mais, en mon moi extérieur, je ne pouvais saisir cela que fort difficilement et, pour le mettre par écrit, je me mis à travailler immédiatement sur ce grand mystère, comme un enfant qui va à l’école. Dans mon intérieur, je l’ai bien vu dans toute sa profondeur ; ensuite, je l’ai perçu comme un chaos au fond duquel tout repose. Mais il m’était impossible de le développer. Cependant, de temps en temps, cela s’ouvrait en moi comme une plante. Pendant douze ans, je n’ai cessé de revenir là-dessus et cela mûrissait en moi tout en engendrant une violente pression avant que je ne puisse le porter à l’extérieur. Un moment donné, cela tomba sur moi comme une averse : ce qu’elle atteint, elle ne le manque pas. C’est ainsi que cela m’est arrivé. Ce que je pouvais saisir et exprimer, je l’ai écrit.
Jacob Boehme, Confessions, Fayard, 1973.