Carnets
J. Krishnamurti (1895-1986)
Le 17 août, j’ai ressenti une douleur aiguë à la nuque et j’ai dû interrompre ma méditation au bout d’un quart d’heure. Au lieu de diminuer comme je l’espérais, la douleur empira. Elle atteignit son maximum le 19. Je ne pouvais ni penser, ni faire quoi que ce soit, et mes amis m’obligèrent à m’étendre sur mon lit. Puis, j’ai presque perdu connaissance, mais je savais tout ce qui se passait autour de moi. Je revenais à moi chaque jour vers midi. Le premier jour, tandis que je me trouvais dans cet état, et mieux conscient des choses autour de moi, j’ai eu une première expérience très extraordinaire. Je voyais un homme réparer la route ; cet homme, c’était moi ; le maillet qu’il tenait c’était moi ; la pierre qu’il cassait était une partie de moi ; le brin d’herbe tendre était mon être même, et l’arbre à côté de l’homme c’était moi… Je pouvais presque penser et sentir comme le cantonnier ; je pouvais sentir le vent passer à travers l’arbre et la petite fourmi sur le brin d’herbe. Les oiseaux, la poussière, le bruit même, faisaient partie de moi. Juste à ce moment, une auto passa non loin de là ; j’étais le conducteur, le moteur, les pneus. Tandis que la voiture s’éloignait, je m’éloignais aussi de moi-même. Je me confondais avec toute chose , ou plutôt chaque chose se confondait avec moi, inanimée ou animée, la montagne, le vers, et tout ce qui respire. Tout au long de la journée je suis resté dans cet heureux état. Je ne pouvais rien manger, et vers six heures, j’ai commencé à me retirer de mon corps physique…
Mary Luytens, Krishnamurti. Les années de l’éveil, Ed. Arista, 1982, p. 183.
* J. Krishnamurti, Carnets, Ed. du Rocher, 1988, p. 125.