nul besoin d'avoir
un « moi
Le « moi » est versatile, peu fiable et facilement influençable. Pourtant nous avons toujours tendance à structurer notre vie selon ses lois et ses exigences, jusqu'au jour où nous nous réveillons et commençons à comprendre.
Nous avons un nom, une date de naissance et une activité. Cela nous donne une identité, mais n'explique en rien notre nature fondamentale, ce ne sont que des attributs et des facettes de notre personnalité au milieu de la société et dans le monde. Il en est de même des traits particuliers qui sont les nôtres, comme la jeunesse, la beauté, la force ou la faiblesse, le courage, la réceptivité, la sensibilité à la musique, la nervosité ou la résignation, etc., caractéristiques plus déterminantes encore que les particularités physiques. Selon les situations, ces traits sont plus décisifs que nos intentions.
Et souvent les résultats nous rendent perplexes face aux forces effrénées de nos états d'âme qui agissent contre notre volonté.
Nous appelons tout cet ensemble : notre « moi ». Allons-nous nous en contenter ? Beaucoup l'acceptent. Nous le pourrions si, parfois, nous n'étions pas à l'écoute, pendant un moment, d'une insatisfaction intérieure lancinante qui ne cède pas, même si elle n'a aucune raison d'être sur le plan de l'argent, de nos états d'âme et de l'aspect extérieur de notre vie. Les années pas¬sent tandis que les expériences et leurs résultats nous préoccupent toujours. Se suivent échecs, succès, course et précipitation, profit et perte, jouissance et triomphe. Alors la question surgit un jour : qu'est-ce qui cause ou subit le tourbillon des événements dans le cours inéluctable du temps ?

Le « moi » ne nous paraîtrait-il pas, au bout d'un certain temps, étrangement perdant et insatisfaisant ? Cet aspect de notre personnalité qui perçoit et influence nos situations extérieures et nos états intérieurs serait-il l'acteur principal dans notre vie ? Sûrement pas. Car ce « moi », ce qu'on nomme notre conscience, est aussi peu durable ou fiable que les mouvements de notre psychisme : une peur soudaine le crispe très facilement par exemple ; ou bien il ressent et s'adapte vivement à l'ambiance régnant dans un groupe. Mais où se cache-t-il pendant le sommeil ? Et après la mort ?
Etant donné qu'il est indissociablement relié aux fluides vitaux et au corps, il ne saurait survivre longtemps à la mort physique. Alors on finit par se demander où se trouve en nous la base inébranlable de l'existence qui nous ferait dire à juste titre : « Je suis ».
« DONNEZ-MOI UN POINT FIXE » Le philosophe grec Archimède dit un jour : « Donnez-moi un point fixe et d'un seul levier je soulèverai la terre. » Existe-t-il un tel point fixe ? Dans le Nouveau Testament, il est le Père. Jésus le Christ dit : « Le Père et moi nous sommes un. » Si nous prenons cette parole au sérieux, nous ne pouvons qu'aspirer à la comprendre de tout notre coeur, car le « moi » dont il est question ici, nous ne le connaissons pas. Pourtant, en tous les humains, se trouve l'assise à partir de laquelle peut se développer un homme supérieur : le coeur. Personne ne l'a expliqué de façon si admirable que J.A. Comenius (1592-1670), qui écrit :
« Ne vous chargez pas de choses dont vous n'avez aucun besoin, mais contentez-vous de l'unique nécessaire et louez Dieu. Contentez-vous du stricte nécessaire. Et si vous êtes même privé de cela, veillez à vous conservez vous-même. Et si vous ne le pouvez même pas, détachez-vous donc de vous-même en veillant à rester attaché à Dieu. Qui possède Dieu peut se passer de tout. Il possède le bien suprême et la vie éternelle avec Dieu et en Dieu, pour tou¬jours et à jamais. Et ceci est le but et la fin de tout ce que l'on peut désirer. »
Tout être humain a quelque chose en lui de divin ; en chacun flambe l'atome-étincelle d'Esprit, le point qui nous relie au divin. Cette étincelle divine nous permet en effet de réaliser notre aspiration suprême, et d'élever ainsi notre conscience, notre être entier et le monde avec nous. Quand ce feu se met à flamber, commence un chemin d'évolution au cours duquel notre personne extérieure se transforme en sa nature intrinsèque avec laquelle elle finit par fusionner entièrement. Peu à peu, l'être terrestre fait le don de soi au « Tout Autre » en lui, à l'homme véritable, le prototype de l'homme-Dieu. Celui- ci respire dans l'éternité, dans la perfection et, selon la parole de Jésus, ne fait plus qu'un avec le Père, origine de tout le créé. Qui suit un tel chemin prêtera, tout naturellement, moins d'attention à son petit « moi » personnel. Il le verra comme une goutte d'eau dans l'océan, comme une graine emportée par le souffle du printemps, tout comme les atomes qui tourbillonnent à travers l'univers, porteurs de galaxies tout entières. L'histoire de l'humanité, de la terre et des univers se retrouve dans l'âme humaine et attend son réveil à la vie sous l'impulsion créatrice de la renaissance de l'Esprit. Le soi est par conséquent un cosmos indépendant en même temps qu'une des cellules vivantes des myriades d'univers rayonnants.
LE TRIANGLE ÉQUILATÉRAL DE L'ÂME Aboutir à une telle conscience est un véritable réveil. Le monde intérieur et le monde extérieur deviennent peu à peu plus clairs et plus compréhensibles. Le « moi » se dissout en une conscience différente, englobant tout, et le chercheur considère son ego de façon plus neutre. Il perçoit que son « moi » n'existe, au fond, que dans le bref instant où il l'éprouve, lorsqu'il surgit soudainement. Il ne peut répondre ni de son passé ni de son avenir ; ce n'est qu'une construction de l'imagination, un arrêt dans le cours du temps. Si nous voulons l'examiner de plus près, il disparaît à l'horizon. Qui suis-je ? Du point de vue extérieur, la réponse est facile. Mais si nous nous regardons intérieurement, surgit un labyrinthe dans lequel il faut pénétrer pour répondre à
la question. Cependant chacun y dispose d'un guide infaillible ; et s'il y a une fin à ce chemin de la connaissance de soi, le chercheur ne peut
le savoir d'avance, alors qu'il en connaît pourtant le début.
Le dédale où le « moi » se perd dans notre âme est le fait d'un manque de point d'appui central. Les trois centres de force de l'âme, la volonté, la vitalité et la sensation, ne coopèrent que temporairement et partiellement. Souvent la volonté prend le dessus ; et quand la raison a fini par concocter quelques arguments valables pour agir, voilà que la force vitale s'est déjà dissipée. Une autre fois ce sera le sentiment et la raison qui se contrarieront. Le « moi » ne peut diriger ces trois chevaux dans une direction donnée que de façon exceptionnelle. Tout ce qui résulte de ce sauvage imbroglio intérieur n'est qu'instabilité et improvisation. Une âme fortement structurée nécessite une personnalité dont les aspirations et désirs la dirigent délibérément vers un but intérieur élevé. Alors seulement l'on commencera à faire confiance à certaines perceptions, à les reconnaître clairement et à agir judicieusement.
La volonté d'agir, la conscience de la situation et les relations faites par le pouvoir sensoriel oeuvrent alors comme un sismographe, de sorte que les changements les plus subtiles auront lieu dans l'harmonie. Ce triangle équilatéral représente une maison enfin stable sur cette terre où l'on peut vivre et travailler aussi longtemps que c'est utile et nécessaire.
L'on construit ainsi pendant sa vie une maison pour l'éternité, dans laquelle circulent les nouvelles structures de l'âme ainsi que les énergies supérieures de l'univers divin, oeuvrant à la transfiguration. Toutes les improvisations s'écroulent et une nouvelle animation engendre des créations impérissables. Telles sont les forces surnaturelles qui veulent agir en l'être humain pour lui montrer le chemin des étoiles.