Projet éducatif pour l'humanité (Coménius)
Conceptions, orientation
1) Problèmes
Les orientations de la pensée Coménienne ont répondu, et répondent toujours, à un certain nombre de questions que pose notre héros :
a) Quels sont le smoyens dont dispose l’homme pour réaliser son accomplissement?
b) Quels sont les organes perceptibles et imperceptibles dont il dispose à cet effet?
c) Le système vital actuellement très mal en point peut-il être” inversé”, retourné, pour servir ce processus autoréalisateur ?
d) De même que le corps est le temple, et le corps le temple, comment la société peut-elle retrouver sa fonction originelle de cosmos vivant , sachant que chacun de nous constitue un microcosme, résumé vivant et vibrant de l’Univers entier? Pourquoi la conscience microcosmique est-elle pour l’homme, à plus ou moins long terme, l’unique issue, à condition que cela ne constitue qu’une étape, vers une percée absolue au delà de l’espace-temps.?
e) (Implicitement dans la Panegersie), comment, depuis que le monde est monde, l’humanité a-t-elled’abord été guidée, puis ensuite accompagnée et enfin laissée à sa propre initiative autolibératrice pour (principe de liberté) manifester cet accomplissement, but de notre présence en ce point de l’espace-temps?
f) Comment retrouver et permettre à chacun de retrouver par lui-même le fil d’or des siècles, pour l’époque présente quelle que soit cette époque?
g) Comment ce fil d’or s’est-il manifesté différemment selon les périodes ci-dessus évoquéees.
h) De quelle nature est ce fil d’or?
i) Quelles sont les facultés, les éléments latents, qui pourraient permettre, si les moyens mis en œuvre dans ce travail d’autoformation permanente, dans le cadre d’un travail à court, à moyen et à long terme, à une aspiration à la séparation absolue de l’aspect “Lumière”, l’aspect libérateur, éveillant, selon la dimension psycho-spirituelle et corporelle de l’homme véritable, de trouver une issue positive, libératrice ?
j) Quelle est la nature de l’homme ? Qu’est-ce que l’homme? et ceci non seulement selon les conceptions classiques, rationalistes au mauvais sens du terme, mais dans un sens répondant plutôt à la Haute Raison, celle qui englobe tout ce que ne pourra jamais imaginer le scientifique le plus honnête, limité par une éducation dont le but principal est de maintenir un état de fait plus ou moins évolué, dans le cadre des limites de l’espace-temps…
k) Quelle est la structure de l’homme, et l’ensemble de ses “peaux”, au sens égyptien du terme? De tout temps une explication précise de la nature de l’homme, de sa composition en tant que personnalité et en tant que microcosme, fut donnée dans des cercles restreints.
On retrouve cette explication dans les œuvres de J.A.Komensky, que cela soit soit dans la Via Lucis ou dans la “Consultation…”ou même dans ses écrits “éducatifs”.
2)Cadre général du projet éducatif
Le projet éducatif se trouve ici inscrit dans un projet beaucoup plus vaste de “réforme générale des affaires humaines”. Or on a négligé de suivre les conseils de son “Traité du bon ordre universel ou Panorthosie”. Tout passe par une prise de conscience individuelle de quelques pionniers, puis par la prise de conscience du plus grand nombre d’individus, et en particulier des parents et futurs parents au sein des familles. Puis, pour soutenir ce travail, des écoles adéquates, qui vont dans l’esprit de Comenius de l’Ecole de l’enfance, ou maternelle, à l’Académie Céleste, en passant par tous les stades d’ouverture de conscience. Enfin, des institutions politiques émanants spontanément d’une élévation de conscience générale. Ce n’est que dans un tel contexte que les trois institutions que son traité prévoit pourraient exercer un contrôle valable.
Le Collège de Lumière veillerait à ce que personne ne manque d’instruction ni n’ignore les connaissances utiles à une orientation personnelle et universelle, malgré les spécificités locales et individuelles, et favoriserait la recherche. Ce Conseil créerait les conditions pour que les hommes tournent les yeux vers la lumière sous toutes ses formes et découvrent petit à petit par eux-mêmes la vérité.
Le Consistoire mondial s’occupera de rassembler de façon positive les recherches et réalisations des Ecoles des Mystères ou des religions qui éventuellement se mettraient à leur service, pour faciliter la comprehension et la vie du domaine purement spirituel et de tout ce qui pourrait faciliter ou empêcher la manifestation de l’Homme Parfait.
Le Tribunal de la Paix veillera à ce qu’aucun peuple ne s’élève contre un autre peuple, que personne n’ose se mettre à enseigner comment faire la guerre ou comment fabriquer des armes.
Tous ceux qui auront des postes de responsabilté institutionnels devront bien entendu être des sages parmi les sages, tout d’abord se surveiller eux-mêmes, puis se surveiller entre eux, chaque institution surveillant l’autre. Ainsi l’enseignant doit-il d’abord s’enseigner lui-même, puis les spirituels et les hommes de gouvernement. Le spirituel doit lui-même pratiquer la piété en vérité avant de veiller à celle des lettrés et des hommes de gouvernement, sans toutefois oublier cette tâche. Et l’homme de gouvernement doit faire règner l’ordre en lui-même avant de le faire règner chez les enseignants, les spirituels et tous les citoyens. Et donc ils devront tous être spirituels, lettrés et capables de gouvernement.
Le but de toute la pédagogie de Comenius, et nous serons appelés à y revenir, est l’éveil spirituel progressif universel. Loin d’être naîf, optimiste réaliste, il sait que tous ne parviennent pas forcément, en cette vie, à l’éveil absolu.
Mais l’important est que l’image de Dieu, ce que nous pourrions appeler l’archétype de l’homme parfait, soit, même s’il ne s’agit la plupart du temps que d’un germe, d’une étincelle, présent en tous les hommes. Chacun de nous possède, non seulement cette base à l’état plus ou moins conscient, mais les trois facultés, les trois normes de l’apprentissage qu’il s’agit de faire fructifier : “Savoir, Vouloir et Pouvoir”, que l’on pourrait actualiser en “Savoir , Oser, Vouloir, Agir”en notre époque où tout se révèle et où l’oser allié à l’agir équivaut au pouvoir, non-pouvoir selon les normes ordinaires dialectiques, mais force de réalisation spirituelle invincible si le travail est mené à bien en une orientation conséquente et sans faille.
3) Pédagogie et humanité
Jan Amos, contrairement à bien de ses contemporains, manifeste un “optimisme réaliste” de bon aloi, dans tous les domaines où il décide de servir, qu’il s’agisse de philosophie, de spiritualité, d’éducation, ou autre, malgré et peut-être grâce à son expérience de vie qui le poussa à l’Universalité. Pour lui, comme pour son berceau spirituel, la Fraternité de l’Unité, le problème de la grâce n’a pas grand intérêt. Dieu accorde à tous ce qui lui est nécessaire pour un devenir humain véritable. C’est à lui qu’il appartient d’entrer dans ce que Jacob Boehme appelle “L’incarnation de Jesus-Christ”.
Si quelqu’un lui dit “Nous somme corrompus”, il répond : “Oui, mais aussi… c’est à cela que tend l’éducation dans toute son étendue” (Pampaedie II, 19). Dans le même esprit, citons un autre passage : “…La sagesse est nécessaire à tout le monde. Chacun doit être précepteur, guide et directeur de lui-même, et de tous les autres. En effet, Dieu a donné à chacun des ordres concernant sa conduite envers le prochain (Ecclesiaste, 17,12), il ordonne à chacun d’aimer son prochain, mais plus précisément d’instruire l’ignorant, de ramener l’égaré dans le bon chemin, de réprimander le pécheur; L’Ecriture abonde en préceptes de cette sorte. Par conséquent, tous doivent être philosophes, car l’homme a été créé comme être raisonnable et a reçu l’ordre d’observer l’essence des choses et de la montrer aux autres. Tous doivent être rois, car l’homme a été destiné à gouverner les créatures inférieures, comme son prochain et lui-même.
Tous ont donc besoin de la sagesse; même si une personne est placée plus haut que l’autre, aucune ne doit être totalement négligée.
Si quelqu’un me demande : “Les aveugles, les sourds, les handicapés peuvent-ils être entièrement instruits étant donné leur infirmité?”, je réponds :
- Aucun homme ne doit être exclu de l’instruction humaine dans la mesure où il participe de la nature humaine. Plus encore, la nature ne pouvant l’emporter à elle seule en raison de ce handicap, il est doublement besoin d’une aide extérieure. (...suivent exemples de manifestations de talents divers malgré des handicaps divers ) On voit donc qu’il y a toujours un accès vers l’âme raisonnable; par conséquent il faut toujours y faire pénétrer la lumière, par là où c’est possible. Je ne sais pas s’il existe un homme muré en lui-même au point que son âme n’ait pu ménager dans cette prison même une ouverture permettant l’accès à l’intérieur …”
Comenius a d’abord été élève, puis Frère, défenseur, pasteur, et enfin évêque de la communauté des Frères Moraves. Dans sa jeunesse, son horizon fut donc quelque peu limité, ce qui est normal, vu le contexte de la communauté (persécutions) et de son temps.
Mais dès ses études à Herborn et à Heidelberg où il prit connaissance des œuvres de JV Andreae, et de plus en plus, jusqu’à son “aventure anglaise” et la rédaction de “Via Lucis”, il élargit son horizon. Dieu veut sauver tous les hommes et donc une éducation universelle, orientée sur l’éveil et la réalisation spirituelle, doit être mise en place pour manifester l’image de Dieu en chacun. Au cours de ses tribulations, il fut donc confronté au cœur de la révolution spirituelle, au problème de l’apprentisage. Sa recherche le mena à une méthode d’autoréalisation, qu’il développa tout d’abord dans la “Via Lucis”, en un premier état qui s’adressait à ceux qui selon lui pouvaient “remplir les blancs”. Puis tout sa vie ne fut qu’un long approfondissement aiguisé par une mise en pratique dans sa vie (non exempte de remises en questions), et c’est plus particulièrement dans la Pansophie et la Pampaedie que son système trouva son couronnement en la matière.
L’homme est, en tant que personnalité, ensemble de corps ou d’aspects plus ou moins denses, que l’on appellera en langage moderne aspect corporel, aspect vital, aspect émotionnel et aspect mental. Ces aspects peuvent être, pour simplifier, tout en sachant qu’il s’agit là d’une façon réductrice pratique de présenter les choses, orientés vers la “lutte pour la vie”, purement animale (rappelons que nombre d’animaux possèdent ces quatre aspects, de façon plus ou moins consciente), ou bien vers l’humanité véritable, ce que Comenius appelle, et le langage du XVIIe siècle avec lui, l’homme “à l’image de Dieu”.Nous voyons là les aspects biopsychologiques de l’homme, outils nécessaires à son “devenir lui-même”, et qui doivent être structurés organisés, dès le plus jeune âge, dans l’éducation familiale et maternelle, et même avant, par les soins apportés au foyer familial. Dans l’Ecole de l’Enfance, nous pouvons lire (en substance, traduction Bovet) :”
“Le corps, tiré de la terre, est terrestre, travaille la terre,et doit retourner à la terre; mais l’âme, inspirée par Dieu, vient de Dieu, séjourne en Dieu et doit s’élever vers Dieu.
Par conséquent les parents n’accompliront pas pleinement leur tâche, s’il se contentent d’apprendre à leur progéniture comment manger, boire, parler, marcher, s’habiller (on voit qu’ici même les fonctions intellectuelles sont évoquées) . Tout cela ne sert qu’au corps, qui n’est pas l’homme mais seulement son tabernacle. L’âme rationnelle en est l’hôte et l’habite, il est juste demieux la traiter que sa niche.
Plutarque a eu raison de railler les parents qui désirent pour leurs enfants la beauté, la richesse et les honneurs, et les élèvent dans ce sens, mais ne se soucient pas d’orner leur âme de piété et de vertu. Et Plutarque ajoutait : “Ces gens là estiment plus la chaussure que le pied.”
Quand Comenius parle d’âme, nous devons bien comprendre qu’il y attribue plusieurs types de significations et d’aspects, selon le contexte où ce mot est employé. Le problème est qu’en général nous reduisons le sens de ce terme par pure ignorance, au psychisme connu et mesurable. Or, même si ces travaux sont aujourd’hui dépassés, Korzybski, dans sa “Sémantique générale”avait bien montré que nous ne puvons avoir une vue saine de l’univers que si nous posons que nous n’en connaissons qu’un infime partie, et qu’avec nos moyens d’investigation, même les plus poussés, nous n’arriverons jamais à en faire le tour, dans l’état actuel de notre conscience. Si Jan Amos parle d’âme, il distingue l’âme rationnelle, l’âme immortelle, etc… et précise : “l’essentiel des soins doit porter sur l’âme, partie principale de l’homme, le reste des soins porte sur le corps pour en faire une habitation convenant à une âme immortelle.”
4) L’actualité de Comenius
Qui dit actualité de Comenius dit spiritualité intemporelle. Dans l’Enseignement Universel dont Johan Amos se fait le héraut par sa vie et son œuvre, bien des choses n’on pas encore été accomplies.
Pédagogique et spirituel ne font qu’un, et se rejoignent à tout instant. Déjà, dans Via Lucis, il “organise” la connaissance. Ainsi il montre que, si l’on veut permettre à l’homme d’accomplir la tâche qui lui incombe, de poser “les premières bases de la sagesse de Dieu”, les “fondements du perfectionnement de la sagesse humaine”. Mais, si l’on ne progresse pas sur cette lancée en construisant de façon universelle, nos efforts seront risibles. Et, cela est explicitement développé aussi bien dans la “Via Lucis”, que dans la “Consultation Universelle…cette construction, aussi bien sur les plans vivisibles qu’invisibles, se doit, même si elle se démontre par un comportement tangibl, irréfutable, est une construction, une progression d’ordre spirituel.
Citons ici un passage de la “ dedicatio” de la “Via Lucis”, où l’on retrouve l’essentiel de son “programme” : éduquer en vue de “l”intelligence, du spirituel et de l’éternel”.
“Si vous vous en teniez là (à ne poser que les fondements du perfectionnement de la sagesse humaine) et n’aviez pas l’intention de progresser en construisant, vous apparaîtriez aussi risible que la personne citée dans l’évangile qui commença à construire une tour mais ne l’acheva pas (Luc, 14). Risible, vous dis-je, non peut-être aux yeux des hommes (qui ne veulent pas comprendre l’œuvre de Dieu la plus grandiose) mais bien à ceux de Dieu et des anges, et votre travail serait une sorte de tour de Babel à l’envers, c’est à dire un édifice dressé non vers le ciel, mais vers la terre, tout au moins une œuvre inachevée, comme l’aurait été celle de Salomon si, après avoir construit le temple extérieur pour le peuple, il avait oublié de construire le Saint pour les prêtres et le Saint des Saints pour le Grand-prêtre. ou finalement nous serions atteint de cette maladie grecque, qui consiste (selon Sénèque, à être sage dans les détails insignifiants. Tout ce qui est sensoriel, corporel et temporel n’est, en effet, que détail en comparaison de l’intelligence, du spirituel et de l’éternel, parce que les uns périssent pendant que les autres demeurent. Ne serait-ce donc pas mieux (pour suivre Hieronymus) d’apprendre sur terre ces choses dont la connaissancedemeure aussi dans le ciel? Et avec l’Apôtre, “d’user du monde comme n’en usant pas, car la figure de ce monde passe”(1Cor.7,31). S’il en était déjà ainsi autrefois, quand les temps commençaient tout juste à s’écouler, pourquoi n’en serait-il pas ainsi aujourd’hui où les temps passent à une si grande vitesse.”
Et nous rajoutons, nous transportons à l’époque contemporaine, à fortiori de nos jours.
Mais, même s’il était plus facile d’aborder les sujets d’ordre spirituel dans le cadre pédagogique du temps de Comenius qu’à notre époque d’une laîcité mal comprise qui a la fâcheuse tendance à exclure cet aspect des choses, celui-ci ne perdait pas de vue les aspects simples et concrets qui peuvent permettre à un jeune, quel que soit son âge, de comprendre le monde et d’y trouver la placequi lui permettra de frayer son chemin dans ce monde de passage.
Dans l”Ecole de l’Enfance”, texte adressé aux futures mères et aux mères d’enfants âgés de moins de six ans, Comenius estime important qu’une conception juste et libératrice du monde soit très tôt apportée à l’enfant. De même que Jean Hus et la Communauté des Frères Moraves, il soutient l’idée que tous doivent être éduqués, pendant toute la vie. Cette formation permanente, de la naissance à la mort et au-delà, dans ce qu’il appelle “l’Académie Celeste”permet à chacun, s’il accomplit ce qui convient à sa période de vie d’accéder aux plus hauts sommets de l’état-d’être humain-divin, puisqu’en lui tout est présent pour cela.
Il est évident, et cela est mis en pratique de nos jours, malheureusement dans une orientation tournée vers le bien ou le mal relatif en ce monde ou dans les domaines subtils, ce qui ne correspond absolument pas avec ce qu’avait en vue Comenius, que l’Ecole de l’Enfance, correspondant dans notre système éducatif à l’Ecole Maternelle, peut constituer un puissant levier, un puissant moyen de civilisation et de réforme, de révolution non-violente, si ses objectifs sont réellement le développement de “l’image de Dieu” sans arrière pensée idéologique ou sociale.
L’éducation du jeune enfant n’a pas, pour Comenius, pour but premier son intégration dans une société quelle qu’elle soit, mais la compréhension du sens de la vie et la dynamisation de nos aspirations à la réalisation consciente et lucide de ce sens (Savoir, Vouloir, et Pouvoir, les trois facultés normatives que devra mettre chacun au service de la manifestation personnelle d’un être humain véritable, se structurent, mais surtout pas de façon artificielle et sans forcer un intellect qui n’existe pas encore, pendant les premières années)
Pour lui l’éducation sous toutes ses formes est le moyen qui permet à l’homme de conquérir la véritable liberté. Ceci ne sera possible que grâce au développement conséquent des trois facultés, Savoir, Vouloir et Pouvoir, elles-mêmes orientées par un discernement au service de la manifestation divine.
Afin de préparer à l’acquisition de cette sagesse universelle, il est essentiel, comme cela fut pratiqué dans la communauté des Frères Moraves et comme cela est vécu dans toute communauté dont le sens est la construction, en cette vie, d’hommes et de femmes dignes de ce nom, de s’y prendre le plus tôt possible (quand le monde lui laisse le temps de survivre suffisamment longtemps).