Clés pour comprendre Meyrink
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Symposium du 2 et 3 août 2008 à Caux
Compte rendu de l’atelier :
« l’œuvre de Meyrink, des clefs pour nous libérer de nos illusions ? »
Par François Agoguet
Section 1 |
Section 2
V – mise en scène de l’épreuve finale du baron Müller suivie d’un échange
ou la dernière rencontre avec l’ange à la fenêtre d’occident pour accéder (ou pas) aux Noces et à la vocation d'Alchimiste en esprit
Lors de cette mise en scène, les participants de l'atelier pouvaient jouer un rôle s'ils le souhaitaient. Cela leur était proposé. Le but n’était pas de produire un spectacle mais de permettre au groupe de partager un moment autour d'un thème spirituel de façon active.
Suite au jeu théâtral, un temps était proposé pour permettre un échange entre tous les participants sur des impressions, des idées ou des expériences en liaison avec le thème de l'atelier ou l'oeuvre de Meyrink.
Ci-dessous vous sont retransmis les textes qui ont été utilisés et que les acteurs ou narrateurs lisaient (b et c). Ces textes sont précédés d’un résumé (a) de la partie du roman qui précède la scène jouée.
a – avant l’épreuve
Le baron s'est retranché du monde,
Jane est morte, le baron évoque son souvenir, il attend son retour,
mais il reçoit en réponse les visites d'Isaïs la Tentatrice qui cherche à prendre possession de lui, de sa vie.
Elle est partout,
visite « agréable » (a-t-elle un message de Jane
ou trompeuse ? Y a-t-il faute par rapport au regard du visage éternel ? Le baron s’interroge.
Puis, la pensée du poignard d'Hoël Dhat arrache le baron du tombeau et du sommeil dans lequel il risquait de s’enfermer, le feu jaillit en même temps ;
le baron traverse le feu, récupère le poignard et combat Bartlett avec.
Ainsi, il quitte la maison qui brûle, puis capte l'image d'Elisabeth la Bénie,
mais c'est encore une illusion, un reflet, il traverse alors le fantôme.
Il a ensuite l'intuition d'aller à Elsbethstein, il court avec des ailes à ses pieds et en possession du poignard.
Arrivé au château d'Elsbethstein, il est accueilli chaleureusement mais sans émotion, ni crainte ou attente, par Théodore Gärtner (Imperturbable) qui lui demande s'il a vaincu Isaïs la Noire. Müller répond que non, Gartner lui annonce alors qu'Isaïs va revenir, Müller est à bout.
Gärtner lui dit qu'il a réussi par ses propres moyens à résister deux fois à l'absorption du poison (Vajroli Tantra) ce pourquoi il mérite d'être secouru.
Sur le Vajroli Tantra, voici deux propos de Gärtner :
« Si tu savais quelle énergie est nécessaire pour pratiquer le Vajroli tantra sans aller à sa perte. »
« Une dernière salutation des Dugpas pour te détruire. »
Müller demande ensuite à Gärtner de l'aider, Gärtner lui fait alors visiter les lieux, il est dans une tour, dans un atelier d'alchimiste, la pièce à la fois ressemble et ne ressemble pas à un habitacle terrestre, Müller se demande s'il est mort?

« Gärtner hésite un instant, sourit subtilement et répond, ambigu :
- Au contraire. Tu es désormais un Vivant. »
Puis Gärtner l'invite à le suivre. Müller, en s'approchant de Gärtner, a une impression familière qui semble remonter de loin,
puis Gärtner l'emmène à travers la cour du château mais celui-ci semble différent du château terrestre que Müller connaissait car il n’y a pas de traces de dégradations, ...
Gärtner explique qu'Elsbethstein est un très antique lieu-relais de la planète où coulent depuis des Eons chtoniens les sources du destin terrestre, les sources que Müller avait vues n'étaient que des intersignes de leur retour,
Citation du texte : " Les eaux chaudes auxquelles l'aveugle cupidité des hommes croyait puiser sont de nouveau scellées. Ce qui va se passer ici désormais leur restera invisible ; ils ont des yeux pour ne point voir. ”
L'atmosphère est calme sereine, puis Gärtner dit indifférent :
« Ici sera le lieu de tes activités si... nous restons ensemble »,
un nuage d'oppression passe sur le coeur de Müller.
Puis Gärtner conduit Müller dans le vieux jardin qui s'étale entre le château et l'enceinte extérieure. Là, Müller reconnaît Mortlake Castle qu'il a vu dans le cristal et, en même temps, s'aperçoit qu'il s'agit d'autre chose car cela ne resplendit qu'au dessus de la ruine...
Gärtner répond par un sourire joyeux, l'invite au silence et le ramène dans la maison puis le laisse seul ;
quelques jours passent, Müller en garde le souvenir d’une solitude sereine, d'entretiens magiques et a le sentiment de retrouver une patrie devenue étrangère depuis un temps immémorial puis...
b – première scène : Tu dois pouvoir
Il y a ici trois personnages en présence :
le baron Müller, (avec un masque à l'arrière : Janus)
le Narrateur (sans masque) qui s'adresse au public
et Gärtner le jardinier (avec un masque, invisible).
Narrateur: Ce doit être le troisième soir que le baron Müller se trouve à Elsbethstein ;
Il est avec Théodore Gärtner et ont une longue conversation sur des sujets
aimables, mais dans l'ensemble, insignifiants.
Sans avoir l'air d'y toucher, comme s'il traitait des choses les plus
indifférentes et les plus banales du monde, Gärtner interrompt la
conversation par une remarque, comme à l'improviste:
Gärtner: " Il est temps maintenant que tu te tiennes prêt."
Narrateur: Müller a peur. Une angoisse imprécise rampe en lui. Il balbutie en plein
désarroi.
Müller: " Tu veux dire... qu'est-ce?
Gärtner: - Trois jours pareils à ceux-ci auraient suffi à Samson pour laisser reposer
sa chevelure coupée. Regarde en toi ! Ta force t'est revenue !"
Narrateur: Le long regard absolument tranquille de Théodore Gärtner verse à Müller
une paix merveilleuse, presque instantanée. Docile, sans la comprendre, à
son injonction, Müller ferme les yeux pour se recueillir.
A peine Müller vient-il d'avoir fermé les yeux qu'il voit intérieurement le
Baphomet au-dessus de lui, ... et la lumière froide et blanche de l'escarboucle
l'inonde.
Alors le baron Müller est calme et se sent en accord avec son destin, il se
dit à lui-même : " que le destin me conduise à la victoire escomptée ou qu'il
m'écarte de la vue des Imperturbables! "Puis il demande impassible:
Müller: " Que dois-je faire?
Gärtner: - Faire ? Tu dois pouvoir !
Müller: - Comment parvenir à ce "pouvoir" ?
Gärtner: - On ne parvient pas à "pouvoir" au moyen de questions ou de
connaissances dans le domaine où l'on rencontre son destin. Fais - sans
savoir.
Müller: - Sans savoir d'abord, que faire ? C'est...
Gärtner: - C'est le plus difficile. "
Narrateur: Théodore Gärtner se lève avec le poignard dans une main, il tend cette
main à Müller...et il dit, comme distrait :
Gärtner: " La lune se montre à l'horizon. Prends l'arme que tu as reconquise.
Descends dans le parc. Là tu rencontreras ce qui veut te détourner
d'Elsbethstein. Si tu franchis le mur d'enceinte, tu ne retrouveras plus le
chemin pour y entrer et nous ne nous reverrons plus. Mais j'espère que les
choses ne finiront pas ainsi. Va maintenant. C'est tout ce que j'ai à te dire. »
Narrateur : Théodore Gärtner se détourne, sans un regard, et c’est ensuite comme s’il
s’enfonçait dans l’obscurité de la pièce et s’évanouissait derrière les
torchères aux lueurs vacillantes. Müller croit entendre au loin une porte
retomber. Puis un silence de mort s’établit autour de lui et il perçoit les
battements impétueux de son cœur.
***
c - deuxième scène : Sauvé par la grâce
Soudain la lune émerge au dessus de l’un des toits du château. Le baron se trouve dans le jardin, le poing serré sur le poignard de Hoël Dhat, sans savoir, pourtant, à quoi il doit lui servir. Il contemple les étoiles. Elles flottent dans l’air calme, sans un scintillement. Cette inaltérable sérénité de l’espace cosmique le pénètre d’une énergie perceptible.
Son esprit s’emploie uniquement à écarter toute question.
« La magie est un faire sans savoir. »
Le sens des paroles de son ami Gärtner le pénètre et lui communique une grande paix. Combien de temps reste t-il ainsi dans le parc baigné par la lumière magique de la lune ? Il ne saurait le dire !
A quelques pas – il est difficile d’apprécier la distance dans la pénombre émeraude – se dresse un groupe d’arbres imposants, serrés en une masse sombre.
De cette masse se détache soudain une lueur mouvante.
On dirait une nuée transparente à laquelle le clair de lune prête uneillusion de vie changeante. Le regard de Muller ne peut plus se détacher de l’apparition : une forme s’avance, d’un pas léger, à travers les bosquets, tantôt hésitante, tantôt agitée, à ce moment le baron se souvient, cette silhouette s’est déjà manifestée à ses yeux une fois dans la chaude lumière de midi, éveillant en lui une inextinguible nostalgie ! C’est la démarche royale, c’est l’indescriptible, mystérieuse majesté de la Dame attendue de ces lieux : l’énigmatique reine Elisabeth !
Comme attirée par son désir ardent, la fée s’approche … à l’instant le baron oublie, perd tout souvenir de ses intentions et du but de ce séjour nocturne dans le parc.
Avec un cri de jubilation intérieure qui fait éclater son cœur et dont il ne mesure pas lui-même toute la violence, il va à sa rencontre, tantôt en accélérant le pas, tantôt en le ralentissant de l’angoisse que la trop ravissante image ne se dérobe à son approche, ne se dissolve en brouillard, prouvant par là qu’il ne s’agit que d’une hallucination de ses sens, et non d’une apparition.
Mais elle demeure !
Elle hésite quand il hésite, se hâte quand il se hâte …
et enfin, elle est là, devant le baron Müller la Majestueuse, la Mère, la Prédestinée bien au-delà du Sang, la Déité de John Dee, de l’Ancêtre,
et elle lui sourit d’un sourire qui lui promet d’exaucer ce à quoi tout son être, du plus profond des temps, aspire.
Voilà que Müller ouvre les bras, … la reine acquiesce et, en souriant, d’un signe, invite le baron à la suivre, … voilà que la main délicate et nacrée de la reine, effleure le poignard que le baron tient dans la sienne et que les doigts du baron veulent s’ouvrir pour lui offrir en cadeau ce qui lui appartient.
Alors, une lueur qui ne vient pas du clair de lune fulgure de haut sur lui. En un éclair il sait que le Baphomet et l’escarboucle qui le couronne sont là : et l’escarboucle ne l’éblouit pas, mais verse son éclat froid, aigu, serein.
Au même instant un sourire affleure sur les traits de la Dame mystérieuse, tout près de son visage, mais il sent, … dans le délice consumant, inexprimable de ce sourire aux promesses millénaires, … une lutte sourde contre la splendeur glacée de l’escarboucle, au dessus de lui.
Et devant ce sourire inqualifiable, imperceptible, sûr de sa victoire, le temps d’un battement d’ailes de messagers angéliques, l’esprit du baron s’arrête court et il s’éveille de sa stupeur, … il voit que le don du regard immatériel lui est départi, qu’il peut voir en avant et en arrière dans l’espace comme le Baphomet à deux têtes.
Il voit alors la Femme-Monde et toute la perfidie de son regard, devant lui, et son visage volé de sainte …
il la voit de derrière, ouverte du haut en bas, nue de la nuque jusqu’aux fers de ses pieds, pareille à une fosse grouillante de vipères, de crapauds, de grenouilles et de répugnante vermine.
Et tandis qu’elle a par-devant le visage paré, de toute la bonne odeur, de toute la grâce, de toute la sublimité de la déesse, la puanteur de son autre face et le secret ineffaçable de la putréfaction fatidique frappent l’âme de Muller d’une horreur sans nom.
Alors sa main se resserre sur le poignard, son œil et son cœur deviennent sereins et joyeux. Il dit amicalement au fantôme :
« Quitte ce champ d’évocation, Isaïs. Ne cherche pas à duper une seconde fois le descendant de Hoël Dhat, sous les dehors de la Dame élue ! Renonce à ce jeu et qu’il te suffise d’y avoir triomphé une fois dans le parc de Mortlake. Cette faute est expiée ! »
Le baron n’a pas plus tôt prononcé ces mots, qu’un coup de vent inopiné passe en sifflements et mugissements, sur la pelouse ; la lune gris de plomb se cache derrière les nuages. On dirait que la bourrasque fait rouler jusqu’au baron, à la hauteur des genoux, un visage convulsé aux traits farouches et tordus qui lui lance d’en bas en pleine figure un épouvantable regard de fureur – une barbe rouge lui balaie la peau, poussée par le vent ; Il reconnaît Bartlett Green, ce vieux camarade, le premier tentateur de John Dee.
Un sabbat enragé se déchaîne. A la vitesse de l’éclair Isaïs la Noire assume forme après forme, toujours plus provocante, plus nue, plus impudique, jouant ses derniers atouts. Mais toujours plus inefficace, plus lamentable et plus pauvre, se vautrant dans la pitoyable pantomime de la prostituée.
Ensuite : paix dans les airs, silence sur le baron, et les feux immobiles des étoiles. Mais lorsqu’il regarde autour de lui : un pas, à peine, et il était à la petite porte ménagée dans la muraille, d’où le sentier rapide, escarpé, mène dehors, en bas, dans le monde étranger.
Seulement alors le baron mesure en conscience combien il était près de la frontière qui, au dire de Théodore Gärtner, sépare éternellement l’univers d’Elsbethstein de l’univers d’Isaïs la Noire, car, pendant qu’il croyait tenir ferme, la démone l’avait entraîné ; et c’est à toute extrémité que la grâce du Baphomet l’avait tiré en arrière et sauvé. Alors il pense en lui-même,
« Bienheureux suis-je d’en avoir été jugé digne ! »
*****
d – échange
Au cours de l’échange, ou suite à l’échange, nous avons lu encore quelques extraits du roman.
Pour clore ce compte rendu, voici un dernier extrait du roman. Après la dernière épreuve dont il est ressorti victorieux, à la page 314 (p.479), le baron devient alchimiste en esprit et rencontre enfin la reine Elizabeth elle-même et non plus son reflet :
« J’avance à mon tour d’un pas décidé. D’un pas tout aussi décidé s’approche la reine, que je n’aperçois plus à travers les barreaux dorés de la légende qui la retenait prisonnière. Elle est maintenant tout près de moi : son regard ne me quitte pas, il s’accroche au mien – un regard clair, franc et serein. Je vais à la rencontre d’Elisabeth, comme une comète destinée à en croiser une autre sur sa trajectoire depuis des milliers, des millions d’années peut-être… Comme nos pensées sont pauvres, exprimées dans la dimension métaphorique de l’ombre du temps et du clapotis de la fontaine !
Une sensation de chaleur météorique accompagne la conjonction finale des trajectoires et… Elisabeth est devant moi. Tout près. Si près que nos yeux semblent se toucher ; Si près qu’Elisabeth est devenue comme invisible à mes organes sensoriels, invisible aussi au Baphomet qui brille au-dessus de nous l’espace d’un instant. Toutes mes fibres, tous mes nerfs, toute mon âme et toutes mes pensées savent désormais que la conjonction des deux comètes s’est accomplie. Nulle part je ne cherche, nulle part je ne trouve désormais… La reine est en moi. Je suis en la reine : enfant, époux, père, depuis les origines… La femme n’est plus ! L’homme n’est plus ! Voilà ce que chante le chœur de mes pensées qui exultent de bonheur ! »
Annexe
Le personnage principal du roman :
Le Baron MÜLLER, baronnet de Gladhill
Qui est-il ? baro = homme libre + Müller = meunier :
« l’homme libre qui prépare le pain »
Il a vu et est touché par le reflet de la Lumière (le cristal, l'Escarboucle)
Il est en possession de la double conscience (Janus).
Il entreprend de retourner à la Maison du Père grâce à la lumière de l'Escarboucle et à la possession du poignard (le Fer de lance, la Croix).
D'où vient-il ?
D'Hoel Dhat, le Très Ancien, l’homme originel
de John Dee (= Jean le Bon) le chercheur qui, à sa mort, inspira la clémence divine,… de John Roger, et bien d'autres inconnus…
Où va-t-il ?
à la rencontre d'Elisabeth (son double pour atteindre l’Unité, sa part manquante)
vers la Fraternité (sa destinée et sa vocation).
Il marche vers la résurrection de l'homme-âme-esprit.
Il est celui qui traverse consciemment l'enfer de la sphère astrale en purifiant le coeur, et parvient à se relier à l'Esprit à travers la nouvelle âme.
Que rencontre-t-il en chemin ?
L'incontournable épreuve de L'Ange à la fenêtre d'Occident,
le « Gardien du Seuil » :
Cette lumière, ce reflet astral, doit mourir comme le soleil se couche (disparitions de Lipotine, Bartlett, Isaïs) avant qu'il puisse voir la lumière de l'Orient se lever :
le nouveau soleil éclaire la Réalité, il peut la contempler en face.
Occident = occire (anéantir les ténèbres)
Orient = s’orienter (aller vers l’aurore)
De quelle aide dispose-t-il ?
De la lumière de l'Orient : l'Escarboucle
Du Fer de lance (la croix de la foi) : le poignard du Très-Ancien
de la présence de la Fraternité : Gardener, le Jardinier
Liens
Symposium sur Meyrink à la Bibliothéca Philosophica Hermetica