Clés pour comprendre Meyrink
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Symposium du 2 et 3 août 2008 à Caux
Compte rendu de l’atelier :
« l’œuvre de Meyrink, des clefs pour nous libérer de nos illusions ? »
Par François Agoguet
Section 1
SOMMAIRE
Introduction
I - Le baron Müller : personnage principal du roman.
II - La Libération
a - Avertissement :
b - le songe de Hoël Dhats et le Baphomet, la ressouvenance :
c - l'escarboucle et les deux visages :
d - le fer de lance
e - le blason
f - la Fraternité
III - Illusion, Fantômes
a - L’ange : un écho, et rien d’autre.
b - Axiome : Nous ne savons rien.
c - L'ange doit être dissout :
IV - les Clefs
a - Le témoignage et la résonance
b - la méthode : Non pas ma volonté !
c - Jane :
d - « Tu dois pouvoir ! »
e - La grâce et non la maîtrise
V – mise en scène de l’épreuve finale du baron Müller suivie d’un échange
a – avant l’épreuve
b – première scène : Tu dois pouvoir
c - deuxième scène : Sauvé par la grâce
d – échange
Annexe : fiche sur le baron Müller distribuée le jour de l'atelier
Introduction
Le roman de l'Ange à la Fenêtre d'Occident de Gustav Meyrink raconte l'histoire du baron Müller, un être humain qui a entrepris de s'accorder à la dimension spirituelle qui s'exprime en lui et, on pourrait presque dire, malgré lui. Ce livre est un vivant témoignage au sujet de la quête du héros, de ses découvertes et de ses réalisations. En suivant les péripéties du baron (et de son prédécesseur John Dee) à travers le roman, on peut avoir l'impression qu'il a mis en pratique les paroles du début de l'évangile selon Thomas :
- Jésus a dit : « Que celui qui cherche ne cesse de chercher jusqu'à ce qu'il trouve; et quand il aura trouvé, il sera bouleversé, et étant bouleversé, il sera émerveillé, et il régnera sur le Tout. »
Nous pouvons ainsi remarquer, en lisant ce récit, à quel point il est parfois nécessaire de persévérer dans la recherche jusqu'à ce que l'on puisse trouver; à quel point aussi il peut être nécessaire d'accepter les bouleversements inhérents à la réalisation du Soi; à quel point enfin l'émerveillement et le règne spirituel ont un prix.
Nous y découvrons donc comment le baron parvient à se débarrasser des entraves qui l'empêchent de se réaliser spirituellement. Il s'aperçoit que l'essence de tous les obstacles qu'il a rencontrés ou qu'il rencontre émane de lui-même et qu'il ne peut s'en libérer définitivement que grâce à un cheminement particulier décrit dans le livre. Ce cheminement ne peut se dévoiler et s'accomplir sans sa collaboration consciente. 
L'atelier proposait de voir en quoi nous pouvions être concernés dans notre propre quête spirituelle par les propos de ce livre et les aventures du baron :
Sommes-nous nous aussi sous l'emprise d'illusions ? Ces illusions ont-elles leurs origines en nous-même ? Et si c'est le cas, existe t-il des clefs susceptibles de nous aider à nous en libérer ?
L'atelier s’est déroulé en trois temps. Au cours du deuxième temps, nous avons mis en scène et joué deux scènes de la fin du roman qui illustraient le thème de l’atelier. Avant de jouer ces deux scènes, il était nécessaire de les situer dans le roman et de voir en quoi elles répondaient au thème de l’atelier (premier temps). Le troisième temps était le temps de l'échange entre les participants.
Dans ce compte rendu, vous trouverez une présentation du premier temps de l’atelier à travers les chapitres I, II, III et IV. Vous y retrouverez les pistes de réflexion et de recherche qui avaient été proposées ainsi que les documents qui avaient été cités ou exposés au cours de l’atelier.
Remarque : Dans la suite de ce document, vous constaterez que certaines parties sont écrites en caractères droits, d'autres en italique. Les parties écrites en caractère droit sont des parties extraites directement du roman (ou d'autres sources), des résumés de certains passages ainsi que des éléments d'explication du fonctionnement de l'atelier. Les parties écrites en italique sont des propositions qui ont été faites pour tenter d’apporter un éclairage supplémentaire sur le sens du roman. Elles n'ont pas la prétention d'être des vérités, elles constituent des éclairages possibles laissés à la libre appréciation du lecteur. D’autres propositions étaient et sont certainement possibles. Au cours de l’atelier, les temps d’échange permettaient aux participants d'en exprimer d'autres.
* Les renvois de page correspondent à l’édition Le Rocher 1986, imprimée en février 1994. (Parfois mais plus rarement, il s’agira de l’édition Flammarion Paris 2005. Lorsqu’il s’agira de l’édition Flammarion, cela sera précisé.)
I - Le baron Müller : personnage principal du roman.
Pour éviter trop de dispersion, étant donné la richesse du roman, le thème de l’atelier était centré sur le personnage principal du roman, c'est-à-dire sur le baron Müller.
Qui est le baron Müller ? Celui-ci semble représenter l’aspect personnalité d’un chercheur, qu’il soit homme ou femme. Cette personnalité apprend à se mettre au service d’un processus de libération. Les autres personnages n’ont été évoqués au cours de l’atelier que pour tenter d’éclairer la problématique de celui-ci.
Une feuille sur le baron Müller vous a été distribuée au moment de l’entrée dans la salle de l’atelier.
L’intention de cette feuille était de vous aider à situer ce personnage.
La voici (elle a été légèrement modifiée) mais vous pourrez retrouver l'original en annexe :
Le personnage principal du roman :
Le Baron MÜLLER, baronnet de Gladhill
Qui est-il ?
Le baron Müller, de baro : homme libre et Müller : meunier : « l’homme libre qui prépare le pain ».
Il est le dernier de la lignée d’Hoël Dhat (voir II b et c), le porteur de la promesse (celui qui a vu et qui est touché par la Lumière symbolisée par le cristal rayonnant ou Escarboucle).
Il est aussi celui qui est en possession de la double conscience (Janus au double visage) et à qui le Baphomet (le Baphomet symbolise l’Esprit originel) parle dès le début du roman (il a donc établi une liaison avec la lumière de l’Esprit) grâce au travail de son prédécesseur John Dee.
D'où vient-il ?
D'Hoel Dhat, le Très Ancien, l’homme originel,
de John Dee (= Jean le Bon) le chercheur qui, à sa mort, inspira la clémence divine,
de John Roger, et bien d'autres inconnus…
Où va-t-il ?
A la rencontre de la reine Elisabeth, sa promise, sa bien aimée selon l'Esprit, son double pour atteindre l’Unité
et à la rencontre de la Fraternité et de sa vocation d’alchimiste.
Il marche vers Hoël Dhat, son origine, vers la résurrection de l'homme-âme-esprit, vers le Bouddha de compassion (la fraternité à laquelle il se relie reste liée à l’humanité pour la secourir - voir les paroles de Gärtner et l'extrait de La Voix du Silence en II - f).
Il est l’alchimiste en devenir qui traverse consciemment l'enfer de la sphère astrale (Isaïs la Noire) et de ses illusions en purifiant le cœur (il parvient ainsi à discerner l’expérience spirituelle de l’expérience sensorielle au fur et à mesure de ses diverses confrontations avec l’Ange ou avec Isaïs et ses serviteurs). Ainsi, il parvient à se relier consciemment à l'Esprit.

Que rencontre-t-il en chemin ?
La puissance de l'illusion transmise par Isaïs la Noire et ses serviteurs ou l'incontournable épreuve de L'Ange à la fenêtre d'Occident (le Gardien du Seuil).
L'Ange à la fenêtre d'Occident ne doit plus pouvoir exercer son emprise sur le baron, cette lumière, ce reflet astral, sa « conscience terrestre » doit mourir (occident – occire) comme le soleil se couche (disparitions de la princesse Assia, de Bartlett, de Kelley, d’Isaïs et de leurs emprises, disparition de Jane également) pour qu'il puisse voir la lumière de l'Orient (orient, s’orienter, aller vers l’aurore) se lever, la conscience spirituelle s’éveiller et le nouveau soleil éclairer la réalité, pour qu'il puisse rencontrer La Fraternité, sa vocation et Elisabeth (son âme spirituelle).
De quelle aide dispose-t-il ?
Du Fer de lance (la croix de la foi) perdu et retrouvé: le poignard du Très-Ancien,
de la lumière de l'Orient : l'Escarboucle (l’Esprit), le cristal qui descend dans la tête,
de son héritage qui lui a été retransmis de façon étonnante (au début du roman) et de la promesse qui lui est liée
et de la présence de la Fraternité, des Imperturbables : Gardener ou Gärtner (le jardinier) en est un représentant.
Ainsi le baron entreprend de retourner à son origine - en dévoilant son héritage qui contient une promesse - grâce à la lumière de l'Escarboucle, la présence de la Fraternité et la possession du poignard.
Pour mieux comprendre le baron Müller, voici quelques éléments sur son prédécesseur John Dee, le chercheur à qui le discernement manquait et qui s'est perdu dans l'alchimie terrestre sans toutefois renoncer à l'essence de sa quête spirituelle.
Le baron Müller parle de John Dee, p.11 :
« Un homme atrocement égaré qui brilla au matin de sa vie pour voir s'amonceler lesnuages sur sa maturité: poursuivi, bafoué, crucifié, réconforté de fiel et de vinaigre; un homme qui frôla l'enfer, un élu pourtant, qui en fin de compte, fut enlevé dans les hautes sphères du ciel, parce que c'était une âme noble, un "sachant” audacieux, un esprit ardent. »
Dialogue entre Gardener et John Dee quand ce dernier arrive à la fin de sa vie, p. 268 :
Gardener: « Désormais tu as appelé Celui qui ne te laissera plus seul, si tu devais t’égarer ; le « Je » insondable. Médite sur ce qui n’a pas de forme pour ton regard ; sur le type primordial pour ta conscience !
John Dee: - Qui suis-je ? M’exclamé-je en gémissant.
Gardener: - Ton nom est inscrit dans le livre, ô toi qui n’a pas de nom. Mais tu as perdu ton emblème, descendant de Roderick. Voilà pourquoi tu es seul ! »
…
puis p.269,
Gardener : « Dieu soit loué, John Dee, tu te seras méfié de tous tes amis, moi compris ! Enfin tu t’es retrouvé toi-même. Enfin, John Dee, je vois que tu n’as foi qu’en toi seul ! Que tu veux jusqu’au bout ce qui t’appartient ! »
…
encore un peu plus loin, p. 269,
Gardener : « Tu vois ton poignard n’est pas de ce monde !
JD - Quand… où… pourrai-je le tenir ?
G - Au-delà, si tu le cherches là-bas, si tu ne l’oublies pas !
JD - Aide-moi donc, ami, à ne … pas… ou… blier ! »
*** Puis, après vous avoir présenté le baron Müller, nous vous avons proposé une série d’idées extraites ou suggérées par le roman. Le but était de préparer le deuxième temps de l’atelier (chapitre V) et aussi de tenter d’éclairer l’œuvre de Meyrink.
La présentation de ces idées a été ponctuée par la lecture d’extraits de textes choisis dans le roman. Cette lecture était assurée par des participants volontaires.
Voici les idées qui vous ont été présentées et les extraits qui ont été lus (sur ce document vous avez davantage d’informations et de sources citées que lors de l’atelier, la durée limitée de l’atelier ne permettait pas de vous en présenter autant).
Ces idées étaient ordonnées en trois parties :
La Libération (II) - Les Illusions (III) - Les Clefs (IV)

II - La Libération
Il s’agit pour le baron Müller de se libérer de ses illusions, de son karma ou d’accomplir sa destinée : le but envisagé ne concerne donc pas l'ego mais la lumière spirituelle latente, le plan de l'âme spirituelle.
A ce propos, le baron reçoit un avertissement (voir a - Avertissement ci-dessous).
Dans le cours du roman, des éléments spirituels (ou symboles) jouent un rôle décisif à certains moments. Ce sont des éléments importants dans le processus de libération suivi par le baron. Ils vous sont brièvement présentés de b à f.
Des citations ou extraits de livre écrits par divers auteurs sur le même thème vous sont également proposés.
a - Avertissement :
Il n’est pas ici question de se défaire d’un obstacle extérieur pour pouvoir mieux évoluer à sa guise ensuite mais de bien comprendre que les obstacles sont en nous ainsi que la lumière ; Aussi, si nous aspirons à la conscience spirituelle, il est question d’être capable de « donner » c'est-à-dire d’envisager une purification de la demande ou d’offrir son moi ; il est également question d’apprendre à prier avec le cœur bien sûr, mais aussi avec la tête.
Un avertissement est adressé au baron dans sa quête lorsqu’il puise dans son héritage,
page 40 (ou p.78 Flammarion) :
- Un effroyable secret magique devait être retracé ici, car la main d’une tierce personne, en haut de la page carbonisée, a écrit à l’encre rouge :
« Toi dont le cœur n’est pas assez solide pour tenir bon, ne lis pas plus avant ! Toi qui as des doutes sur ta force d’âme, choisis : ici, résignation et repos, là, curiosité et perdition ! »
Sur le même sujet, on peut lire dans «La Lumière sur le Sentier » de Mabel Collins p. 137/138 :
« C’est pourquoi je dis : arrêtez-vous et réfléchissez bien sur le Seuil. Car, si la demande du néophyte est faite avant une purification complète, cette demande ne pénétrera pas la retraite de l’Adepte Divin, mais évoquera les forces terribles à l’affût sur le côté sombre de notre nature humaine. »
Il y a encore bien d’autres indications qui mettent en garde le baron, elles sont disséminées dans le livre, par exemple dans le dialogue entre John Dee et le grand Rabbin Löw sur la prière et la connaissance p.189 et 190:
...
Le rabbin : La prière est une chose qui s'apprend.
John Dee : Que voulez-vous dire par là, Rabbi ?
Vous priez pour obtenir la Pierre. La Pierre est une bonne chose. L'essentiel reste que votre prière frappe l'oreille de Dieu.
Comment en serait-il autrement, m'exclamai-je, est-ce que je prie sans foi ?
La foi, répète le Rabbin, branlant du chef. A quoi me sert la foi sans la connaissance ?
… un peu plus loin :
le Rabbin : « Vous autres, goi, vous savez tirer à l'arbalète et à l'arquebuse. C'est
merveille de vous voir viser et toucher votre but ! C'est proprement un art ! Mais
savez-vous aussi prier ? C'est merveille comme vous visez à côté et comme vous...
touchez rarement !
Rabbi ! Une prière n'est pas une balle dans une bouche à feu !
Pourquoi non, Votre Honneur ? Une prière est une flèche dans l'oreille de Dieu ! Quand la flèche touche, la prière est exaucée, devrait l'être, car la prière est irrésistible... quand elle fait mouche.
Et quand elle ne fait pas mouche ?
Alors elle retombe, telle une flèche perdue ; souvent elle se trompe d'adresse, ou retourne à la terre comme la force d'Onan – à moins que l' «Autre » et ses suppôts ne l'interceptent, et ne l'exaucent... à leur manière.
Quel « Autre »? demandé-je, le coeur serré.
Quel « Autre », se moque le Rabbin. Celui qui veille toujours entre le Haut et le Bas. L'Ange Matetron, le Seigneur aux mille visages... »
Je comprends et je frissonne : et si je... priais à faux?
Le Rabbin ne fait pas attention à moi. Son regard se perd dans le lointain. Il continue :
On ne doit pas demander la Pierre quand on ne sait pas ce qu'elle signifie.
La Pierre signifie la vérité, objecté-je.
La vérité ? Raille le Rabbin, exactement comme avait fait l'empereur. Je m'attends à l'entendre ajouter : « Suis-je Pilate ? »Mais le haut Adepte ne dit rien.
Autrement que signifierait-elle ? Insisté-je, l'âme incertaine.
Votre Honneur doit savoir que le secret se trouve dedans, non dehors !...
Je sais bien ! La Pierre, on la trouve en soi, mais on la prépare aussi de l'extérieur, on la nomme alors : l'Elixir.
Attention, mon fils, murmura le Rabbi, changeant de ton tout à coup, et sa voix me pénètre jusqu'au tréfonds de l'être... Attention si tu pries pour obtenir, si tu revendiques la Pierre ! Attention à la flèche, au but, au coup ! Prends garde que tu ne reçoives la fausse Pierre, la fausse Pierre résultant du faux coup ! La prière peut devenir quelque chose de terrible.
Est-il donc si difficile de prier juste ?
Extrêmement difficile, Votre Honneur. Vous avez raison : il est extrêmement difficile de frapper l'oreille de Dieu. »

b - le songe de Hoël Dhats et le Baphomet, la ressouvenance :
Le songe de Hoël Dhat est un élément important du roman, il transmet au baron son origine spirituelle et une promesse à réaliser. Ce songe provient d’un lointain passé retransmis par le grand père. Meyrink fait-il allusion ici à cette faculté particulière appelée ressouvenance qui permettrait de retrouver en soi-même le sens originel de notre existence ?
A l’intérieur du songe, il est question de promesses, visions ou paroles délivrées au baron de façon étrange. On y trouve plusieurs symboles importants dont certains ont déjà été évoqués : l’escarboucle ou cristal, les deux visages, Hoël Dhat, le Baphomet, une fontaine ou source, le blason des Gladhill, l’arbre de vie, une couronne, le fer de lance…
Meyrink fait référence à ce songe en plusieurs endroits du roman. Voici quelques extraits qui se trouvent au début du roman.
Le songe de l’escarboucle par le baron, le souvenir des paroles du grand père et la transmission du songe de Hoël Dhats par le grand père, p.9, 12 et 13 :
- p.9, le baron Müller et son grand père :
« Les songes, mon enfant, sont des titres plus grandioses que ceux de la noblesse et du fief. Ne l'oublie pas. Si tu deviens l'héritier digne de ce nom, je te léguerai peut-être un jour notre songe: le songe de Hoël Dhats. »
- Et alors, d'une voix étouffée, chargée de mystère, dans un murmure contre mon oreille, comme s'il craignait que l'air de la chambre ne surprît ses paroles, mais tout en continuant à me faire sauter sur ses genoux, il me parla d'une escarboucle (la lumière spirituelle) dans un pays que nul mortel ne peut atteindre à moins d'y être introduit par celui qui a vaincu la mort et de posséder une couronne d'or et un cristal emprunté au double visage – de? Il me semble me souvenir qu'il parlait de cette créature ambivalente du songe comme d'un ancêtre ou d'un génie tutélaire de notre famille. Mais là ma mémoire est en défaut : tout flotte dans un brouillard clair-obscur... »
- puis p.13, le baron Müller se souvient, il parle alors du Baphomet (l’esprit en nous - latent quand le Baphomet est muet - ou éveillé quand le Baphomet parle) :
« ...Pour l'amour de Dieu, le Baphomet ! Oui c'est le nom qui ne voulait pas me revenir! C'est le Couronné au double visage, le dieu du rêve héréditaire de mon grand-père! Ce sont les syllabes qu'il me murmurait à l'oreille, les détachant au rythme de son souffle comme s'il voulait me les enfoncer dans l'âme tandis que, cavalier enfant je chevauchais de haut en bas et de bas en haut sur sa cuisse.
Baphomet? Baphomet?
Mais qui est Baphomet?
C'est le symbole hermétique de l'ancien Ordre des Chevaliers du Temple; le singulier par excellence, plus proche pour le Templier que tout ce qui lui est proche et demeurant, pour cette raison même, un dieu inconnu. »
- p.12, la promesse, la prophétie :
"... Mon grand-père me disait que le Baphomet, notre génie tutélaire, était muet, mais qu'un jour il parlerait. Alors viendrait la fin des jours du sang : la couronne ne planerait plus au-dessus de sa tête, mais resplendirait à son Double Front.
« Janus » commence-t-il à parler ? Est-ce la fin des jours du sang ? Suis-je le dernier héritier de Hoël Dhats ? ”
Voici un commentaire de Jan van Rijckenborgh sur la légende d’Hoël Dhats du roman de Meyrink. Il est extrait du livre « Il n’y a pas d’espace vide » (p.56 à 58) :
« Dans ce récit, pas un aspect du chemin que nous devons parcourir n’est oublié, et si nous analysons cette légende nous découvrons ce qui suit :
Il y est question d’une épée : l’épée, la croix, est le symbole de l’homme.
Dans les antiques mystères, on trouvait déjà une épée invincible, magnifiquement forgée, garnie de joyaux splendides : elle représente en fait l’homme éternel vivant dans les espaces infinis de l’univers.
Meyrink appelle cet homme Hoël Dhat : « Dhat », appelé plus tard Dee, signifie « le bien », « Hoël » exprime l’être originel dans l’éternité de Dieu.
Un tel être – représenté par la précieuse épée ornée de joyaux – vit dans un paradis, dans un jardin au milieu d’une fraternité dont les membres sont appelés « les jardiniers ».
Or, l’un de ces êtres immortels se perd dans l’espace et le temps. C’est ainsi qu’un descendant d’Hoël Dhat perd son épée royale, sa nature royale.
Il est fait prisonnier par Ivan le Terrible, et tout espoir disparaît. Cependant, entrant en relation avec la reine Elisabeth, luit alors à nouveau une étincelle d’espérance ! 
Cependant, le souvenir du glaive se perd totalement. Beaucoup le voit comme une dague, voire un canif, un coupe-papier, quelque objet utile au monde ordinaire : sa forme primitive si noble est mutilée.
Jusqu’à ce qu’enfin un des descendants entreprenne le chemin de la régénération,
purifie le glaive de sa malédiction et du sang de la nature inférieure,
le restitue à ces ancêtres, et le rapporte enfin à l’Enclos des Jardiniers.
Le héros qui entreprend ceci est John Dee, « Jean le Bon », le précurseur de Jésus,
le frère qui pénètre dans le sépulcre pour délivrer l’Autre.
Il est le bon serviteur, celui qui est appelé à se vouer à la Rose d’Or née de sang purifié.
Un tel récit du salut du Très Ancien est pour nous aussi une bonne nouvelle :
vivant dans cette nature, nous sommes appelés à vitaliser le Très Ancien, le prisonnier tombé, l’homme primordial en état d’hibernation, et à lui faire passer les portes de la Rose…
Gustav Meyrink est parvenu à traduire de manière sublime les hauts et les bas de ce chemin :
puisse son livre vous être d’un grand secours sur votre propre chemin !
Puisse-t-il approfondir votre entendement au cours de votre quête de l’Enclos des Jardiniers. »
c - l'escarboucle et les deux visages :
L’escarboucle revient régulièrement tout au long du récit, elle semble constituer un repère fondamental dans la progression de la faculté de discernement du baron et dans son entreprise de démasquage. La présence de cette lumière lui permettrait de traverser un certain nombre d’épreuves, de passages critiques. L’escarboucle rayonnante est encore appelée cristal de roche ou dodécaèdre régulier auréolé de glorieux rayons, on peut aussi penser à l'Amour, la Lumière…
Le thème des deux visages, souvent associé au symbole de l’escarboucle, indiquerait l’apparition d’une nouvelle conscience alors que l’ancienne conscience est encore présente.
Le baron Müller parle de l’escarboucle p.309, à un moment critique où il a besoin de discerner l’illusion dans laquelle il se trouve :
« … l’escarboucle ne m’éblouit pas, mais verse son éclat froid, aigu, serein … »
La lumière de l’escarboucle est froide et blanche : froide par rapport aux passions, aux émotions terrestres et ainsi elle est utile pour le discernement, le démasquage des fausses lumières.
Sur la nécessité de ne plus être sous l’emprise de nos « émotions naturelles », voici un poème de Juan Ramon Jimenez, poète espagnol (prix Nobel de littérature) du 20ème siècle :
« Mon cœur est si pur maintenant, peu importe qu’il meure ou qu’il chante. Il peut écrire le livre de la vie, ou le livre de la mort. Tous deux sont vierges pour mon cœur, qui pense et rêve. L’éternité saura à quoi de toute façon. Ô mon cœur, il n’importe plus que tu meures ou que tu chantes. »
Dès le début du roman, la présence de l'escarboucle et le fait qu'elle puisse parler au baron indiqueraient une liaison consciente du baron avec la lumière. Le baron Müller symboliserait donc l'état du chercheur qui a trouvé et qui commence à travailler en conscience avec la lumière, à collaborer avec elle, en mettant son moi de côté (ou au service de la lumière) pour entreprendre un travail de démasquage, de purification et de transmutation.
Voici d’autres extraits sur l’escarboucle et les deux visages :
- Paroles du baron Müller p. 8 :
"Apparemment l'idée du cristal sur le blason m'avait suivi jusque dans mon sommeil; en tout cas, je ne crois pas avoir jamais eu de rêve aussi singulier.
Quelque part au-dessus de moi, l'escarboucle luisait, haut dans les ténèbres. Un rayon émané de sa pâleur frappa mon front et j'eus la nette perception qu'il s'établissait ainsi, entre ma tête et la pierre précieuse, une liaison importante. Je tentai de m'y soustraire, car une angoisse m'avait saisi, en déplaçant ma tête d'un côté à l'autre, mais il était impossible d'échapper au rayon. Tandis que je m'y efforçais, tournant et retournant la tête, je fis une expérience déconcertante: pour tout dire, il me parut que le rayon de l'escarboucle restait encore planté dans mon front quand j'enfonçais mon visage dans l'oreiller. Et j'avais la sensation précise qu'une nouvelle face se modelait à l'arrière de ma tête: il me poussait un second visage. Je n'en concevais aucune épouvante: mais c'était ennuyeux de ne plus pouvoir maintenant d'aucune façon échapper au rayon.”
- p.12 encore :
« … Cela venait-il de ce que l’escarboucle avait pris possession définitive de ma voûte crânienne ? Je n’en sais rien. Toujours est-il, dans l’instant où le rayon lumineux illumina ensemble les deux faces de ma tête, je vis que j’étais cette créature à deux têtes – et pourtant un autre : je me vis, c’était bien le cas de le dire « Janus », mouvoir les deux lèvres d’un des visages, pendant que l’autre restait immobile. Et ce muet était incontestablement « moi », l’ « Autre » se livrait à de longs et vains efforts pour émettre un son, luttant pour sortir d’un profond sommeil et prononcer un mot. Enfin les lèvres modelèrent un souffle et exhalèrent cette phrase à mon adresse : … » suite en III - b
Quand la lumière descend et s’installe chez le candidat, la double conscience apparaît, le Baphomet ou la lumière de l'Esprit va alors pouvoir s'exprimer directement tandis que l’ancienne conscience est encore là.
- toujours p.8 :
«Une autre chose se produisit : l’escarboucle s’abaissa lentement, très lentement depuis la hauteur où elle se trouvait par rapport à moi et se rapprocha de ma nuque. J’eus le sentiment qu’il s’agissait de quelque chose qui m’était à ce point étranger, si radicalement étranger que je n’aurais en aucune manière pu le traduire avec des mots.
Un objet tombé des étoiles lointaines ne m’eût pas été plus étranger…
Je ne sais pourquoi, quand je réfléchis à ce rêve, je pense toujours à la colombe qui descendit du ciel au baptême de Jésus par l’ascète Jean. – Plus l’escarboucle se rapprochait, plus le rayon tombait droit sur ma tête, je veux dire : sur la ligne de partage de mes deux têtes. »
d - le fer de lance.
Le fer de lance, le poignard ou l’épée est un symbole important que l’on retrouve dans un grand nombre de récits mythiques, légendaires ou de La Tradition. Il peut représenter à la fois le père, le fils, la lumière, la croix, la foi, la parole…Il représente ici un pouvoir ou un état perdu à retrouver.
A la page 232, il est question d’une notice au sujet du fer de lance qui dit ceci :
« Cet airain précieux ornait jadis la lance invincible de l’antique héros et prince des Galles, - nommé « Dhat », c'est-à-dire : « Le Bon ». Le dit Hoël Dhat aurait obtenu cette arme par des voies tout à fait particulières : à savoir, le secours magique des Elfes Blancs, serviteurs d’une confrérie invisible qui gère les destinées de l’humanité et qu’on appelle les « jardiniers » ( La Fraternité ). Il semble que le prince Hoël Dhat ait rendu un grand service à ces Elfes Blancs qui passent dans les Galles pour des esprits puissants ; en reconnaissance le roi des Elfes blancs lui aurait montré, en broyant une certaine pierre et en y amalgamant une quantité donnée de son propre sang, à façonner une lance ; en prononçant une formule secrète de consécration et d’initiation, l’arme nouvelle devait se solidifier aussitôt, dans la couleur d’une hématite, et devenir plus dure que l’airain et même que le diamant le plus dur ; elle devait rendre son possesseur invincible, invulnérable en tout temps, et digne de la royauté suprême ( L’homme Originel ). Et ce n’était pas tout ; cette lance mettait son possesseur en mesure d’échapper à la mort par vampirisme, qui vient de la femme (Isaïs, la tentatrice, l’emprise de la nature, le désir du moi limité, la cause de la chute).
Cette tradition est restée vivante à travers les siècles, dans la famille de Hoël Dhat ; la lance fut jalousement gardée, les espoirs nourris et la fière prétention des descendants de Roderik toujours renouvelée. Mais l’un de ces Dhat – ou Dee, comme ils s’appelèrent plus tard – perdit le précieux poignard dans des circonstances déshonorantes : il oublia la bénédiction des Elfes Blancs et s’engagea dans le mauvais sentier, croyant obtenir par ruse la couronne de l’Angleterre terrestre au moyen de noces diaboliques, en même temps que le poignard il perdit la force, l’héritage et la bénédiction du sang ; l’anathème s’attache depuis au fer de lance ; seul le dernier de la race dévoyée de Hoël Dhat peut y mettre fin en rendant au poignard le pouvoir et l’espérance atavique. Car, tant que la lance de Hoël Dhat ne sera pas lavée du sang qui la souilla une fois, il n’y a pas d’espoir pour Hoël Dhat de se libérer d’une chaîne qui aboutit à la noire destruction. »
Le fer de lance n’est pas de ce monde. Voici un passage (p.269) où Gardener exprime cela à John Dee :
« Je retombe en arrière. Je me sens étrangement vaincu. Je respire doucement, faiblement, et je murmure : « Rends-moi, ami, ce qui m’appartient !
- Prends ! » dit Gardener en me tendant le poignard.
Je veux le saisir, comme un moribond qui veut le sacrement. J’attrape le vide. Gardener est devant moi. Le poignard dans sa main resplendit dans la lumière de l’aube d’un éclat aussi irréel que celui de ma propre main exsangue et tremblante dans le rai de soleil qui tombe devant moi. Mais je ne peux le saisir. D’une voix douce Gardener reprend :
- Tu vois : ton poignard n’est pas de ce monde :
- Quand… où puis-je l’avoir ?
- Dans l’au-delà, si tu le cherches là-bas, si tu ne l’as pas oublié !
- Aide-moi, ami, à ne pas… ne pas oublier ! »
Voici un passage concernant le fer de lance extrait du commentaire de Van Rijckenborgh déjà cité en II - b.
« L’épée, la croix, est le symbole de l’homme ; dans les antiques mystères, on trouvait déjà une épée invincible, magnifiquement forgée, garnie de joyaux splendides. C’est l’homme éternel vivant dans les espaces non dialectiques de l’univers. Meyrink appelle cet homme Hoël Dhat, Dhat appelé plus tard Dee signifie le bien, Hoël exprime l’état originel dans l’éternité de Dieu. »
e - le blason
Le blason des Gladhill est évoqué et décrit à divers endroits dans le cours du roman. On y retrouve des symboles déjà mentionnés et d’autres qui apportent des précisions supplémentaires sur l’origine et le sens de la lignée et de l’héritage du baron Müller. Lorsque le baron brise les sceaux ou figurent les armoiries de sa lignée pour découvrir son héritage, il s'aperçoit qu'elles peuvent devenir vivantes (p.6) :
« Forclos , le blason, murmuré-je, en rompant les sceaux rouges. Personne plus jamais ne les apposera.
Ce sont des majestueuses, splendides armoiries que je – que je brise ? Étrange impression : n'est-ce pas tout à coup comme si je formulais un mensonge ?
Oui, je brise ces armoiries, mais qui sait : peut-être que je les réveille d'un long sommeil ! » (ensuite, les armoiries sont décrites...) 
Par la suite, en découvrant son héritage, le baron comprendra les expériences de ses prédécesseurs et le sens de sa lignée et donc de son existence actuelle.
Lorsqu’il est question pour le baron de découvrir son héritage, on peut supposer qu'il s'agit là d'une image pour décrire l’expérience à vivre pour celle ou celui qui tente de parcourir le chemin de la renaissance en esprit. Il ne serait alors pas nécessaire de recevoir un quelconque paquet scellé à ouvrir car, pour celle ou celui qui s’engage activement sur le chemin de la transmutation, le présent de l'existence finirait par devenir un présent vivant rempli du sens de l'incarnation ; si bien que chaque moment de vie, à condition de conserver une orientation vers l’esprit, peut devenir alors une occasion de découvrir son propre héritage spirituel ; le hasard finirait par disparaître pour être remplacé par une nouvelle conscience qui s’ouvre et qui permet de donner du sens aux évènements du quotidien, même les plus anodins.
f – Gärtner et la Fraternité :
Gärtner ou Gardener est un représentant des « imperturbables », des « invisibles », de la Fraternité des jardiniers, de ceux qui « secourent l’humanité ».
Gärtner proposera son aide à plusieurs reprises au baron et à son prédécesseur John Dee. John Dee, dans son aveuglement, refusera cette aide alors que Müller finira par en comprendre le sens et l'utilité.
Le baron est incorporé à cette Fraternité à la fin du roman, p. 310 :
« Etends les bras, Ressuscité ! »
J’étends les bras à l’horizontale.
Voici que des mains saisissent les miennes. Je sens, avec une joie intense, que la chaîne se forme. Avec la même joie, je perçois en même temps, au plus profond de moi-même, la raison de celle-ci : celui qui fait partie de cette chaîne est invulnérable ; nul coup ne l’atteint, nul malheur ne l’accable sans que les innombrables autres maillons soient touchés par ce même coup, affectés par ce même maillon ; de sorte que tout le poison des choses et des démons se divise et s’annule, sous l’effet d’une force multipliée par mille, et d’une protection mille fois éprouvée. Je me complais encore à ces transports souverains de celui qui est à l’abri, lié pour toujours, j’en suis encore à m’émerveiller, à trembler de joie, lorsqu’une voix dit dans la salle :
« Quitte tes vêtements de voyage ! »
J’obéis avec joie. Comme de l’amadou, mes habits de route déjà brûlés (purifiés) par l’incendie de ma maison terrestre, tombent. Comme de l’amadou. – Une surprise, une réflexion fugitive : quel que soit le but où conduisait la route ils sont tombés, ces vêtements ! Et comme de l’amadou sont aussi tombés, un jour, ceux de la princesse Chotokalouguine… A cet instant un coup bref, qu’on croirait légèrement asséné par un marteau, frappe mon front. Cela ne fait pas mal ; au contraire c’est agréable, car aussitôt des gerbes lumineuses jaillissent de ma nuque… gerbes lumineuses, sans fin, qui remplissent le ciel d’étoiles… et contempler cet océan lumineux d’astres est félicité (la purification du cœur a été menée à son terme, alors le baron passe la porte de Saturne, la nouvelle âme peut descendre et prendre corps, Jésus est né)… A contrecoeur, hésitant, je reviens à moi. … » 
Lorsqu’à la p. 315, Gärtner répond à Müller, il lui donne des précisions sur la vocation de cette Fraternité :
« Frère, tu as passé le seuil de l’initiation le visage tourné en arrière, car tu es prédestiné, comme nous tous de cette chaîne, à secourir l’humanité. C’est pourquoi jusqu’à la fin des temps tu pourras voir la terre, cependant qu’à travers toi rayonnera toute l’énergie qui émane de la vie éternelle. »
Dans la note 34 de « La Voix du Silence » de Mme Blavatsky on peut lire sur ce sujet :
« Ainsi pour pouvoir aider l’humanité, un Adepte qui a gagné le droit au Nirvâna " renonce au corps Dharmakâya", ne gardant que la grande et complète connaissance, et reste dans son "corps Nirmamânakâya". Le respect populaire appelle "Bouddhas de compassion" les Bodhisattvas qui refusent de passer à l’état nirvânique, de "prendre la robe Dharmakâya et traverser à l’autre rive", sans quoi il deviendrait au-delà de leur pouvoir d’aider les hommes, si peu même que le karma le permette. Ils préfèrent rester invisibles (en Esprit, pour ainsi dire) dans le monde, et contribuer au salut des hommes en les influençant pour leur faire suivre la bonne loi, c’est-à-dire en les conduisant sur le sentier de la justice. »
III - Illusion, Fantômes
En général, l'être humain ne perçoit pas la réalité directement mais à travers les filtres de son ego. La présence de ces filtres explique l'existence d'une réalité différente pour chacun et le caractère illusoire de cette réalité. Le titre du roman de Meyrink, L'Ange à la fenêtre d'Occident, représente cette capacité de l'être humain à s'illusionner et à se créer des fantômes.
a - L’ange : un écho, et rien d’autre :
Extrait de « L’ange à la fenêtre d’occident » p.313 (p. 477), dialogue entre Gärtner et le baron Müller (le baron pose une question à Gärtner qui lui répond) :
« Ami, dis-moi avant que je renonce pour toujours à interroger : qui était… qui est - l’Ange à la fenêtre d’Occident ?
- Un écho, et rien d’autre !
Il a dit de lui-même, non sans raison, qu’il était immortel. Parce qu’il n’a jamais vécu, il était effectivement immortel.
Ce qui n’a jamais vécu ne sait rien de la mort.
Le savoir, le pouvoir, la grâce et la malédiction qu’il a dispensés ne venaient que de vous. Il était la somme des questions, de la science et du pouvoir magique qui étaient cachés au fond de vous-mêmes et dont vous ne saviez pas qu’ils vous habitaient.
Parce que chacun d’entre vous a contribué à cette somme, chacun d’entre vous s’est émerveillé devant cet « Ange » comme devant une révélation. Il était l’Ange à la fenêtre d’Occident, dans la mesure où l’Occident correspond au Royaume vert du passé qui est déjà mort. Il y a beaucoup d’anges analogues au royaume des choses qui sont en gestation, autant qu’au royaume de celles qui sont en décomposition. Mieux vaudrait, pour l’humanité, qu’aucun ange de cette espèce ne vînt ! Mais l’espérance a aussi ses chemins qui ne mènent nulle part ! … »
Dans « Un homme nouveau vient », (p.142), Jan Van Rijckenborgh évoque cet aspect à travers la notion d’être aural :
« On peut dire, et même on doit dire, que chaque être humain est animé par deux personnalités, l’une terrestre et l’autre aurale. Comprenez bien cependant que cette forme céleste aurale, d’une stature cyclopéenne et équipée de formidables pouvoirs, ne doit pas être confondue avec la stature primordiale éternelle qui doit renaître dans le microcosme et qui, elle, est destinée à réintégrer le règne de l’Homme Originel.
L’être aural est, entre autres représentations, un système de centres sensitifs, de centres de forces et de foyers. Ces principes réunis forment une unité, un feu flamboyant, un ensemble cohérent dans lequel un certain feu est allumé. L’une des représentations de cette flamboyante unité peut prendre l’apparence éclatante d’une forme humaine, magique, prodigieusement imposante.
Notre propre stature terrestre est d’ailleurs une projection, un pâle reflet de la manifestation aurale ; laquelle est à son tour nourrie et alimentée par les activités de notre existence.
Il va sans dire que lorsque nous contemplons en un état d’exaltation ce propre dieu-feu d’où nous provenons, il nous renvoie une réponse !
Il va sans dire également que lorsque nous voulons suivre le chemin des mystères divins, le dieu-feu aural se dresse devant nous.
Et il résulte de cette interdépendance que le processus de conservation du feu aural entraîne par réciprocité l’égocentrisme de l’ensemble du système auquel est liée la personnalité mortelle… »
La force de l’illusion est aussi représentée dans le roman par Isaïs la Noire et ses serviteurs. Nous pouvons retrouver cette même idée de la puissance de l’illusion décrite ici par Meyrink à travers d'autres termes utilisés dans d’autres courants ou par d’autres auteurs comme le karma, le gardien du seuil, la Méduse...
Cette puissance emprisonne, le roman illustre cela abondamment.
Par exemple, à la page 288, le baron Müller prie pour le retour de Jane qui est morte mais c’est Isaïs qui revient sous l’apparence de la princesse Assia.
Pages 288 et 300, le baron témoi
gne encore de l'emprise de ce même fantôme qui absorbe son énergie vitale.
Dans «La Lumière sur le Sentier », Mabel COLLINS nous dit aux pages 48 et 49 :
« A la base même de ta nature, tu trouveras la foi, l’espérance et l’amour. Celui qui choisit le mal refuse de regarder en lui-même, et ferme l’oreille à la mélodie de son cœur, comme il ferme les yeux à la lumière de son âme. Il agit ainsi parce qu’il trouve plus commode de vivre au gré de ses désirs. Mais au-dessous de toute vie passe le courant impétueux qui ne peut être arrêté ; les grandes eaux sont là, en vérité. Découvre-les et tu percevras que tout en fait partie, - tout, jusqu’à la créature la plus misérable, quelque persistance qu’elle mette à s’aveugler volontairement sur ce point et à revêtir un masque fantomatique d’horreur. C’est dans ce sens que je te dis : Tous les êtres vivants parmi lesquels tu combats sont des fragments du Divin. Et si trompeuse est l’illusion dans laquelle tu vis, qu’il est difficile de deviner où tu commenceras à distinguer la douce voix dans le cœur des autres. Mais sache qu’elle est certainement en toi-même. C’est là qu’il te faut la chercher, et une fois que tu l’auras entendue, tu la reconnaîtras plus facilement ailleurs…/… »
b - Axiome : Nous ne savons rien.
L’ignorance peut entraîner l’illusion et réciproquement.
Lorsque le baron réalise comment et à quel point il peut s'illusionner, il prend conscience également de son ignorance. A la p. 213, nous lisons :
« Qui nous sommes, nous hommes, nous ne le savons pas. Nous ne sommes présents à nous-mêmes, et les objets de notre expérience, que sous un emballage donné, qu’un miroir réfléchit pour nos yeux et que nous nous plaisons à nommer notre personne. Oh ! quelle paix lorsque nous connaissons le colis que par sa suscription : expéditeur : les parents ; destinataire : la tombe ; envoi de l’ « inconnu » à l’ »inconnu » ; plus diverses indications postales telles que « valeur déclarée » ou échantillon sans valeur », selon l’opinion que nous avons de notre inanité. Bref : nous, colis, que savons-nous de son contenu ? Il se transfigure, ce me semble, au gré de la source de puissance d’où procède sa substance fluidique… Les êtres sont forts différents de l’aspect que nous leur prêtons à travers nous !...
La princesse Chotokalouguine, par exemple ? Oh ! certes, elle n’est pas… un spectre ! certes oui, c’est une femme de chair et de sang, comme je suis un homme de chair et de sang, et le fils de mes parents comme tout un chacun parmi les vivants… Mais Isaïs la Noire émet ses rayons, de l’ « autre Kosmos » à travers cette intermédiaire et la transforme en ce qu’elle était à l’origine de son essence. Tout mortel a son dieu et son démon, en lequel il vit, se meut, est, selon le mot de l’Apôtre, d’éternité en éternité… »
c - L'ange doit être dissout :
A la page 304, l'évocation du poignard (de la force spirituelle qui peut descendre dans le monde) engendre un feu (un processus de purification et de libération) qui permet au baron d'échapper une nouvelle fois à l'emprise de ses fantômes. Ainsi, il pourra quitter sa résidence terrestre après un séjour vécu dans la solitude suite à la rupture de liens importants (Assia et Jane sont mortes).
Mais, à la page 305, Gardner exprime au baron la nécessité qu'il y a de se libérer totalement de l'emprise de l'Ange à la fenêtre d'Occident s'il souhaite rejoindre La Fraternité et réaliser les Noces Alchimiques.
Ici c’est Gärtner qui s’adresse au baron Müller :
« Ainsi, tu as vaincu Isaïs la Noire ?
- Non
- Alors elle va se présenter ici chez nous, car elle est toujours là où elle peut encore revendiquer un droit. »
IV - les Clefs
Si la conscience de l’illusion et le désir de libération sont présents, un chemin de retour vers l’unité peut être entrepris. C’est ce que John Dee a cherché puis trouvé et ce que Müller a réalisé.
Nous vous proposons ici des éléments qui nous ont semblé être des clefs à utiliser pour réussir une telle entreprise. Sept clefs vous ont déjà été présentées : six dans le chapitre II (a, b, c, d, e et f) et une dans le chapitre III (. En voici d’autres :
a - Le témoignage et la résonance
En écrivant un roman, Meyrink témoigne de son expérience et nous permet de la vivre à notre façon.
En effet, il n’est pas possible de transmettre ou recevoir directement la connaissance et la conscience spirituelle car c’est à chacun d’accomplir, il n’y a pas de recettes en ce domaine mais un processus à vivre.
Néanmoins, nous pouvons témoigner de notre expérience et laisser la liberté à chacun d’y reconnaître ou pas ce qui peut lui convenir grâce à la mise en résonance qui s’effectue lors du partage et des échanges de témoignages. La transmission devient alors impersonnelle.
Ainsi, en écrivant ce roman, Meyrink livre son expérience au monde.
Müller, en ouvrant son héritage et en écrivant son journal, entre également en résonance avec sa vocation spirituelle, cela lui permet de vivre sa vocation spirituelle et de ne plus subir sa destinée mais de l’accomplir.
L’approche de notre atelier tentait également de favoriser l’échange et la mise en résonance des témoignages de chacun notamment grâce aux lectures et mises en scène qui étaient proposées.
Gustav Meyrink s’intéressait également au théâtre et au cinéma, deux moyens d’expression qui peuvent également permettre de témoigner et de mettre en résonance.
b - la méthode : Non pas ma volonté !
Cette clef parle du travail d’orientation vers la lumière ou encore du travail de retournement de la personnalité pour permettre à la lumière d’opérer en nous.
Après la période de « j’impose » avec John Dee, mentionnée à la page 82, vient la période de « non pas ma volonté »...qui découle de l’axiome « nous ne savons rien » (III – . Voici quelques extraits illustrant le moment où le baron Müller découvre comment il va pouvoir prendre possession de l’héritage qu’il a reçu sans utiliser sa volonté personnelle.
A la page12, au sujet de la façon de lire cet héritage, le baron reçoit une indication de la part du Baphomet :
« Le cristal descend à nouveau dans la double tête du baron et illumine puis le génie tutélaire muet (le Baphomet) se met à parler :
- N’ordonne pas ! – Ne te présume pas capable ! Où la raison met de l’ordre, elle provoque une inversion des causes premières et prépare la destruction. Lis, en te laissant guider par la main et ne sème pas les ravages. Lis, en te laissant guider - par – moi… ».
Page14, le baron pense en lui-même au sujet de l’héritage de son ancêtre :
« je suis assez curieux de retrouver les voies du destin dans une existence achevée depuis belle lurette - si la volonté personnelle n’intervient pas et si l’intelligence n’essaie pas de « corriger la fortune ».
Page 45, le baron s’exprime sur sa façon de procéder quant à la lecture ou l’écriture en ce qui concerne l’héritage :
« J’éprouve jusqu’au bout des doigts cette nécessité de ne procéder, dans la rédaction de cette singulière biographie de mon ancêtre anglais, ni selon ma fantaisie, ni selon mon choix, mais d’obéir selon que le « Janus » ou, si l’on préfère ma version, le « Baphomet » de mon rêve me l’a ordonné : je lis et j’écris en me laissant guider par lui. Je ne saurais dire comment agit cette volonté directrice ni de qui elle émane. »

Le renoncement à la volonté personnelle n’est pas synonyme d’exaltation mystique chez le baron, il précise lui-même cet aspect à la page 93 :
« Avant de continuer à traduire ce volume (à cet endroit du roman le baron essaie de traduire l’héritage qu’il a reçu), je veux, pour mon compte rendu personnel et la précision de mes souvenirs, ajouter deux remarques.
En premier lieu j’ai toujours senti le besoin de me contrôler par l’analyse. Grâce à ce trait de mon caractère, il n’a pu m’échapper que plus je m’absorbe dans l’examen de l’héritage de John Roger – moins je suis sûr de moi. Parfois je m’absente de moi-même. Je lis soudain avec d’autres yeux. Je pense par l’intermédiaire d’un système d’organes étranger : ce n’est pas ma tête qui pense, mais « quelque chose » pense, loin de moi dans l’espace, loin de mon corps qui est assis dans cette pièce. Alors je fais appel à ce contrôle pour me dégager de cet état de vertige inconsistant, un vertige « mental ». »
Sur le même thème du renoncement à la volonté personnelle, on peut regarder également chez d’autres auteurs.
Par exemple, le carrefour et la rencontre de la colombe et du corbeau des « Noces alchimiques de Christian Rose Croix » de JVR, p.130
ou dans « Le monde des sens et le monde de l’esprit », p. 61 et 62, de Rudolf Steiner, sur les limites de la raison humain et ses rapports avec Lucifer :
« La faculté de former un jugement personnel, indépendant de toute « révélation », est une création luciférienne en nous. De même l’idée de considérer la raison comme une propriété personnelle est une erreur ; c’est la tentation luciférienne qui a inculqué à l’homme qu’il possède sa raison. Et maintenant vous pouvez comprendre qu’en un sens, cette raison est née d’un décalage et qu’elle ne saurait nullement servir de norme lorsqu’il s’agit de saisir la réalité …/…
Ce « luciférisme », cet excès d’égoïté se traduit dans la vie de telle façon que nous ne faisons plus qu’un, en premier lieu, avec nos pensées ; mais aussi avec nos sentiments, nos impulsions volontaires ; surtout avec nos pensées cependant, car si Lucifer ne la lui avait pas suggérée, l’homme n’aurait jamais conçu l’idée étrange que sa raison est bien en lui, qu’il conçoit en lui des pensées…/…
Jamais il ne lui serait venu à l’esprit de combiner toutes sortes de pensées afin de juger par lui-même. Il se serait contenté d’observer jusqu’à ce qu’une idée lui vienne, jusqu’à ce que lui soit révélé ce que veut lui dire la pensée. »
Ou encore Schwaller de Lubicz dans « Propos sur ésotérisme et symbole », p.99, l’intelligence du cœur :
« Si nous ne laissons pas intervenir le « raisonnement », c'est-à-dire cette faculté qui nous distingue de l’animal proprement dit et dont nous abusons sans cesse, alors l’intelligence cérébrale simple ne fait que traduire la conscience innée, comme en l’instinct de l’animal.
Or, pour constater les effets instinctifs, nos sens suffisent. Ils sont en contact avec les quatre éléments-principes qui sont les constituants de la nature.
Mais pour connaître la conscience innée, nous devons l’écouter, c'est-à-dire nous servir du « sens de l’Esprit » qui est l’ouïe, comme le pouce est le doigt de l’Esprit par rapport aux quatre doigts (élémentaires) de la main.
Ceci est difficile, sinon impossible à expliquer. Entendre ce qui n’est qu’un silence physique (la voix du silence), cela est la faculté qui permet la traduction ; c’est l’intelligence du cœur qui paraîtra comme Intuition, c'est-à-dire « connaissance de ce que le cerveau n’a pas encore classé en « savoir » ».
Nous éprouvons, dans tous les cas de la vie, une émotion. Il faut entendre cette émotion, il faut centrer l’ouïe sur l’émotion pour prendre conscience de notre position instinctive envers le moment vital en question.
A partir de cet instant, nous savons ce qu’il signifie, nous aurons, vulgairement dit, l’intuition de la réponse à la question en cause.
L’intuition n’est qu’entendre la voix du silence qui parle en toute la nature vécue, innée en nous, avec un bruit cosmique.
L’intelligence du cœur est : savoir transcrire ce bruit. … »
c - Jane Fromond ou Johanna Fromm ou Jeanne la pieuse : 
Frau Johanna Fromm est la servante du baron Müller. Le baron l'appellera Jane lorsqu’il la reconnaîtra comme son ancienne épouse. Dans une existence précédente, elle était Jane Fromond, l'épouse de John Dee.
Que représente ce personnage ? S’agit-il d’une personne à part entière ou bien d’un personnage qui symboliserait un aspect du baron Müller ?
Jane semble préparer la voie du baron par son sacrifice, le sacrifice, la piété, l’amour…
Il semblerait que le sens de sa vie consiste à se mettre au service du baron pour lequel elle ira jusqu'à sacrifier sa vie afin de lui permettre d’accomplir sa vocation.
A la page 177, la lumière qu’elle perçoit sur le front de Müller et qui signe l'appartenance spirituelle du baron, lui annonce également les limites et la fin de sa mission auprès du baron : « le signe sur toi ! le signe ! bégaya-telle d’une voix qui s’éteignait. Oh ! maintenant tout… tout… est… fini pour moi ! »
Jane symbolise-t-elle l’amour universel ou l’amour terrestre ?
S’il s’agit de l'illusion de l'amour terrestre, cet amour doit mourir ou transmuter, le bien terrestre est alors offert en sacrifice… Or Jane disparaît à la fin du récit en disant qu'elle prépare la voix du baron par son sacrifice.
Jane symbolise-t-elle la bonté de l’homme-Jean, celui qui prépare l’homme-Jésus et qui dit en parlant de Jésus : « il doit croître et je dois diminuer »? Jane et Johanna contiennent en effet le nom de Jean. Le baron Müller serait alors l’homme – Jésus destiné non pas à Jane mais à Elisabeth, l’âme spirituelle qu’il rencontrera enfin à la fin du roman. Jane aurait donc accompagné le baron le plus loin qu’elle pouvait jusqu’à une limite qui ne peut être franchie. Elle n'était donc pas destinée à s’unir avec le baron. Celui-ci est d’ailleurs resté célibataire jusqu’à la fin de sa vie où il a enfin pu célébrer son union avec Elisabeth.
Par contre, dans son incarnation précédente, Jane est mariée à John Dee. Or, nous l'avons vu, John Dee symboliserait l'état du chercheur qui n'a pas accès consciemment à la lumière spirituelle. Il est encore très lié aux forces naturelles et cette liaison obscurcit son pouvoir de discernement.
Jane disparaît avant la fin du récit en même temps que celle qui semble symboliser son contraire, Assia ou l’émissaire d’Isaïs la Noire. Ces deux aspects qui semblent opposés sont-ils liés l’un à l’autre. N’ont-ils pas en commun une vocation limitée et provisoire ?
Après la disparition de Jane et d’Assia du plan terrestre le baron s’isole du monde, mais il est encore confronté à ses propres fantômes et devra être capable d’utiliser le poignard et la force du feu ou la lumière de l’escarboucle pour leur échapper (incendie de sa maison terrestre / la lumière de l’escarboucle qu’il finira par percevoir déjoue le fantôme de la dernière épreuve).
d - « Tu dois pouvoir ! »
Avant d’affronter la dernière épreuve, le baron demande un dernier conseil à Gärtner. Celui-ci lui répond, à la page 308, qu’il s’agit de pouvoir et non de savoir. Voici le dialogue en question :
Müller: " Que dois-je faire?
Gärtner: - Faire ? Tu dois pouvoir !
Müller: - Comment parvenir à ce "pouvoir" ?
Gärtner: - On ne parvient pas à "pouvoir" au moyen de questions ou de
connaissances dans le domaine où l'on rencontre son destin. Fais - sans
savoir.
Müller: - Sans savoir d'abord, que faire ? C'est...
Gärtner: - C'est le plus difficile. "
Il est ici question d’agir sans savoir, de renoncer aux questions et aux connaissances dans le domaine où l’on rencontre son destin. La prise en main par le baron de sa destinée semble relever d’un processus d'individualisation où il doit manifester par lui-même, et sans intermédiaire, un pouvoir.
A cet endroit du récit, le baron s'avance vers la dernière étape de sa libération. On peut donc supposer qu’il doit être capable de témoigner par lui-même d'une orientation et d'un état d'être qui donnent le pouvoir de franchir la phase finale du processus auquel il est confronté. Il n'est pas question ici de faire appel aux pouvoirs terrestres mais d'éprouver si le candidat est capable de ne pas tomber sous l'emprise de l'illusion du monde grâce à la possession d'une liaison avec la lumière de l'esprit d'où l'importance de la préparation et du travail qui ont précédé cette épreuve.
On peut également supposer que la nécessité de pouvoir ou de faire sans savoir (et non de faire ou maîtriser comme on peut le faire avec le moi) met l'accent sur l'engagement et l'implication du candidat à la liaison avec l'esprit. Tout son être est engagé et doit pouvoir se mettre au service d'un processus qui dépasse l'entendement et les capacités du moi.
e - La grâce et non la maîtrise 
Pour accéder au pouvoir dont il est question précédemment une force est nécessaire. Cette force qui ne relève pas du moi va permettre de remporter la victoire dans la dernière épreuve. L’auteur l’appelle la grâce du Baphomet. Nous avons vu précédemment (en II c – l’escarboucle et les deux visages) que le Baphomet symbolise la lumière de l’esprit (ou de l’escarboucle) qui peut émerger à nouveau dans la conscience du candidat. Lorsque cela se produit une nouvelle conscience apparaît.
Quels que soient les mérites ou les qualités du candidat, ce ne sont donc pas eux qui permettent au baron de remporter la victoire. Il s'agit au contraire pour le baron de faire preuve d'une capacité à laisser la place en lui-même, à une réalité d'un autre ordre que lui-même.
Voici les paroles du baron à la page 310 :
« … c’est à toute extrémité que la grâce du Baphomet m’avait tiré en arrière et sauvé. Bienheureux suis-je d’en avoir été jugé digne ! »
Dans cet extrait de « La Lumière sur le Sentier », p.19 –v.12, Mabel Collins situe la lumière en nous mais ce n’est pas nous :
« Car en toi se trouve la Lumière du monde, l’unique Lumière qui puisse être répandue sur le Sentier.
Si tu es incapable de la percevoir en toi-même, inutile de la chercher ailleurs.
Elle est au-delà de toi, parce qu’en la rejoignant tu as perdu ton moi…
Elle est hors d’atteinte parce qu’elle recule indéfiniment.
Tu entreras dans la Lumière, mais jamais tu ne toucheras la Flamme. »