L'EVANGELION MARCIONITE
Extrait N°9
En appendice:
LA DOCTRINE DE MARCION
(selon l'Arménien ESNIG).
Marcion distinguait trois cieux et la terre.
Dans le premier ciel se tient le Dieu de bonté, dans le deuxième le Dieu de la Loi et dans le troisième les armées de ce dernier. Sur la terre, il y a la matière, et celle-ci est appelée puissance de la terre.
... Le Dieu de la Loi a tout créé avec la matière, comme si celle-ci était un principe féminin et une épouse. Et, après la création, il monta au ciel avec ses armées, tandis que la matière et ses fils restaient sur terre, et chacun eut son domaine: la matière régna sur la terre et le Dieu de la Loi dans le deuxième ciel.
Le Dieu de la Loi s'aperçut que le monde était beau et il se proposa d'y fabriquer un homme. Il descendit sur terre vers la matière et lui dit: donne-moi un peu de ta terre; J'y ajouterai de mon esprit et ainsi nous ferons un homme à notre image. Quand la matière lui eut donné un peu de sa terre, il la fit vivre, il y insurfla de l'esprit et Adam devint un esprit vivant, et c'est pourquoi il fut appelé Adam, puisqu'il avait été fait de terre. Après avoir ensuite créé sa compagne et les avoir mis au paradis, comme le dit aussi la Loi, le Créateur et la matière vinrent souvent Ies voir, ils leur donnèrent des ordres et se réjouirent à leur sujet parce qu'il était leur fils.
Et lorsque le Dieu de la Loi, qui était maître du monde, vit qu'Adam était devenu suffisamment bon et digne de le servir, il réfléchit à la façon dont il serait possible de l'affranchir de la matière et de l'unir entièrement à lui. Aussi le Dieu de le Loi prit-il Adam à l'écart et lui dit: "Adam, je suis Dieu et il n'y en a pas d'autre; tu n'auras pas d'autre Dieu que moi; si tu adorais d'autres dieux, sache que tu périrais par la mort." Quand il lui eut dit cela, Adam fut pris d'une telle crainte, car il lui avait rappelé le nom de la mort, qu'il s'éloigna peu à peu de la matière.
Comme la matière venait lui donner des ordres, comme d'habitude, elle s'aperçut qu'Adam ne l'écoutait pas, mais s'éloignait d'elle avec aversion au lieu de s'approcher. La matière en fut vexée et elle comprit que le maître de la création l'avait abusée. Elle dit: "Depuis le début, l'eau de la source est polluée, comment cela se fait-il ? Adam n'a pas encore d'enfant et cet autre me l'a volé au nom de sa divinité. Puisqu'il me hait et qu'il m'est infidèle, je vais faire beaucoup de dieux et en peupler le monde, de sorte qu'il ne soit plus possible, si on le cherche, de trouver le vrai Dieu."
Alors la matière créa beaucoup d'images, les dénomma dieux et en emplit le monde. Au milieu de tous ces noms divins, le nom du Dieu qui est le maître de la création se perdit et on ne put plus le trouver nulle part. C'est pourquoi les descendants d'Adam se fourvoyèrent et n'adorèrent point le Dieu créateur; la matière les attira à elle et ne laissa personne adorer ce Dieu.
Alors, le Dieu créateur se mit en colère parce que tous l'avaient quitté pour se consacrer à la matière et, de fureur, il les précipita tous, chaque fois que l'un d'eux mourait, en enfer ... et ainsi tout le monde alla en enfer pendant 29 siècles.
Mais quand le Dieu de bonté, le très-haut, qui habite au troisième ciel, s'aperçut que les peuples, à cause de la méchanceté de la matière et du Dieu créateur, étaient corrompus, du fait qu'ils étaient entre ces deux trompeurs, il eut pitié de ceux qui avaient été jetés en enfer et souffraient. C'est pourquoi il envoya son fils les délivrer, et il ordonna que ce dernier prenne l'apparence d'un serviteur et se montre aux enfants du Dieu de la Loi sous les traits d'un homme.
"Guéris leurs plaies", dit-il, "Réveille leurs morts, rends la vue aux aveugles, opère parmi eux les plus grandes guérisons sans contre-partie, jusqu'à ce que le Dieu créateur le voie, s'en montre jaloux et nous mette en croix. Après ta mort, tu iras en enfer et tu en tireras les morts, car désormais il n'y aura pour les vivants plus d'enfer. Sur la croix, tu aurais l'apparence d'un mort, de façon que la bouche de l'enfer s'ouvre pour t'y accueillir: tu y entreras et tu le videras."
Ainsi, pendant que le fils du Dieu se trouvait sur la croix, il alla dans l'enfer et il le vida: il prit avec lui les hommes qui s'y trouvaient et les conduisit à son Père au troisiène ciel.
Le Dieu créateur entra dans une grande colère et, dan8 sa fureur, il déchira ses vêtements et le voile de son palais; il assombrit le soleil et plongea son monde dans les ténèbres. Mais, après un long deuil, il se soumit.
Jésus descendit alors une deuxième fois, mais sous sa figure divine; il apparut au Dieu créateur pour le juger au sujet de sa mort. Lorsque le maître du monde aperçut la divinité de Jésus, il découvrit qu'il y avait un autre Dieu que lui. Jésus lui dit: "Nous avons un litige; qu'il n'y ait pas d'autre arbitre entre nous que tes propres lois, que tu as fait écrire." On envoya chercher ces lois et Jésus lui dit: " n'est-il pas écrit dans ces lois qui sont les tiennes que celui qui tue mourra et que celui qui répand le sang du juste verra aussi son sang répandu ? " Il répondit: "Oui, j'ai écrit cela." Jésus lui dit aloros "Rends-toi donc en mon pouvoir, afin que je te tue et que se répande ton sang, comme tu m'as tué et comme tu as répandu mon sang. Car je suis plus juste en droit que toi et j'ai répandu de grands bienfaits sur tes créatures." Et il se mit à énumérer tous les bienfaits dont il avait gratifié les créatures.
Mais quand le Dieu créateur vit qu'il était vaincu, il resta sans voix, car il était condamné par ses propres lois. Le Dieu de la Loi pria humblement Jésus: "J'ai péché et je t'ai mis à mort par ignorance, car je ne savais pas que tu était un Dieu, mais je pensais que tu étais un homme. C'est pourquoi je consens à ce que tu exerces telle vengeance que tu voudras, où que tu te trouveras."
Jésus le quitta et il alla vers Paul, il lui révéla la vérité et il l'envoya prêcher à quel prix nous avons été rachetés. Et quiconque croit en Jésus sera racheté devant le tribunal du Dieu bon.
(Adaptation française d'après Adolf von Harnack, Marcion, Wissentschaftliche Buchgesellschaft, 1960, Darmstadt, Beilagen, pp. 374-377, et H.U. Meyboom, Marcion en de marcionieten,
P. Engels & zoon, 1888, Leyde, pp . 98-103 . )
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